Par le Centre d'archives de Vaudreuil-Soulanges
Seigneuries de Vaudreuil et de Soulanges: 300e anniversaire
Philippe de Rigaud, seigneur de Vaudreuil et de Rigaud. (Gauche) Image de Pierre de Rigaud, marquis de Vaudreuil (Droite)
Carte du territoire de Vaudreuil-Soulanges en 1790 illustrant les seigneuries.
Première page de l’acte de foy et hommage pour la seigneurie de Vaudreuil. 1725.(Gauche) / Première page de l’acte d’aveu et dénombrement pour la seigneurie de Soulanges. 1725. (Droite)
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Par Centre d'Archives de Vaudreuil-Soulanges
Le 300e anniversaire des aveux et dénombrements produits par Philippe de Rigaud de Vaudreuil (1650-1725) et par Marie-Anne Bécard de Granville (1677-1767) se révèle être, pour l’histoire d’une partie de notre région, un événement important à souligner tant pour sa dimension humaine, économique et sociale que pour sa description géographique des seigneuries de Vaudreuil et de Soulanges.
Les documents originaux des 2 et 4 mars 1725 nous dévoilent une liste des censitaires et une description des lieux neuf ans après la concession officielle des deux seigneuries.
Le 14 octobre 1723, Philippe Rigaud de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, et l’intendant Michel Bégon précisent dans une lettre ce que doit contenir un aveu et dénombrement, une sorte de recensement nominatif incluant des données immobilières, mobilières et économiques.
On y retrouve, notamment, les limites de la seigneurie, l’état des terres et les quantités de terre propres à la culture. Les propriétés et bâtiments du seigneurs et ceux de ses censitaires ainsi que les différentes obligations de ces derniers
La seigneurie de Vaudreuil
Le 28 février 1725, Philippe de Rigaud de Vaudreuil comparaît devant l’intendant Michel Bégon au château Saint-Louis à Québec pour rendre et porter au roi la foy et hommage, selon les usages en vigueur, pour le fief vulgairement nommé de Vaudreuil.
Dans le compte rendu, il est fait mention des tribulations liées à a concession de la seigneurie. On y retrouve des informations concernant l’acte de concession de la seigneurie du 23 octobre 1702, le brevet de ratification de cette concession du 5 mai 1716, signé par le jeune roi Louis XV et Jérôme Phélypeaux, comte de Pontchartrain, le tout enregistré au greffe du Conseil supérieur de Québec le 7 décembre 1716. À la suite de cette comparution, Vaudreuil est tenu de fournir un aveu et dénombrement dans les quarante jours.
Deux jours plus tard, le 2 mars 1725, Vaudreuil présente à l’intendant Bégon l’aveu et dénombrement de la seigneurie de Vaudreuil. Le document recense 38 censitaires, 30 maisons, neuf granges et huit étables.
La superficie totale de la seigneurie est de quatre lieues de front (19,644 km) sur la rivière des Outaouais sur une lieue et demie de profondeur (7,366 km) au plus large et de quatre arpents (233,88 m) de large à la pointe des Cascades.
La somme des terres concédées s’élève à 3 610 arpents carrés (12,34 km 2 ), dont 403 (1,38 km 2 ) en terre labourable et 236 (0,81 km 2 ) en prairie. Ce qui signifie que 98 % du territoire serait en bois debout.
Le cens et la rente sont fixés à 20 sols par arpent de front et ½ minot de blé, ce qui donne pour une terre de trois arpents sur vingt la somme de cinq livres par année ; le salaire d’un simple manœuvre étant de 75 livres par année à cette époque.
Les revenus de la seigneurie par les cens et rente était de 238 livres en 1725. Dans la seigneurie se trouve le domaine particulier du marquis de Vaudreuil dans lequel sont érigées une maison et une étable. Se trouve également un arrière-fief avec une maison appartenant au fils du marquis, Pierre de Rigaud de Cavagnial.
L’île aux Tourtes est occupée par la nation des Népissingues et par des militaires en garnison. Il y a différents bâtiments comprenant une église, un presbytère, un corps de garde et une maison. On mentionne une maison dans l’île Vaudreuil, plus tard l’île Cadieux, laquelle fait partie du domaine du marquis. Sont aussi mentionnées les autres îles et îlets dans la rivière des Outaouais devant le front de la seigneurie.
Sur les 38 censitaires, huit seulement sont identifiés par leur prénom. Les censitaires, qui occupent les terres près de la pointe des Cascades de la seigneurie de Vaudreuil, sont les mêmes qui occupent la pointe des Cascades de la seigneurie de Soulanges. Certains patronymes sont probablement encore reconnaissables aujourd’hui dans notre région, comme Poirier dit Desloges, Lafleur dit Desrochers dit Frappedabore, Prieur dit St-Léger, Martin dit St-Jean. Cependant, la plupart des censitaires sont difficilement identifiables comme c’est le cas dans l’aveu et dénombrement de la seigneuresse de Soulanges.
La seigneurie de Soulanges
Le 1er mars 1725, Marie-Anne Bécard de Grandville, veuve de Pierre-Jacques de Joybert de Soulanges (1677-1703), comparaît devant l’intendant Michel Bégon en son nom et comme tutrice de sa fille unique, Marie-Geneviève (1703-1766), pour porter foi et hommage au roi pour le fief et seigneurie vulgairement nommé de Soulanges. L’acte fait référence aux mêmes dates et années de concession, de ratification et d’enregistrement que celles de l’acte de foi et hommage du marquis de Vaudreuil.
Marie-Anne ne fut pas tenue de se rendre au château Saint-Louis et devait fournir un aveu et dénombrement de sa seigneurie dans les quarante jours.
Trois jours plus tard, le 4 mars 1725, Marie-Anne déclare tenir ledit fief de Soulanges qui court nord-est sud-ouest, ayant en front la rivière des Lacs (le fleuve Saint-Laurent). Il s’agit de la moitié de la langue de terre de la péninsule de Vaudreuil-Soulanges devant l’île Perrot ; l’autre moitié appartenant au marquis de Vaudreuil.
Le document mentionne la présence de dix censitaires, neuf maisons, quatre granges et quatre écuries. La superficie totale de la seigneurie est de quatre lieues de front (19,644 km) sur la rivière des Lacs sur une lieue et demie de profondeur (7,366 km) au plus large et de quatre arpents (233,88 m) de large à la pointe des Cascades. La somme des terres concédées s’élève à 1 080 arpents carrés (3,69 km 2 ), dont 132 (0,45 km 2 ) en terre labourable et 21 (0,07 km 2 ) en prairie. Ce qui signifie que 99 % du territoire serait en bois debout. Le cens et la rente d’une terre de trois arpents est de cinq livres par année.
Les revenus de la seigneurie par les cens et rente était de 70 livres en 1725. Dans la seigneurie, se trouve le domaine particulier de Marie-Anne de Granville de Soulanges dans lequel sont érigées une maison et une grange. De ces 10 censitaires, on remarque les patronymes Delisle (Arrivée dit Delisle), Montreuil (Sédilot dit Montreuil), Chénier et D’Ailleboust, facilement identifiables dans les document paroissiaux et notariés ; les autres noms de famille ne l’étant pas du tout ou difficilement. Six censitaires possèdent des prénoms, lesquels ne concordent pas avec les données généalogiques connues.
Trois ans plus tard, le 19 octobre 1728, la fille de Marie-Anne Bécard, Marie-Geneviève, épouse Paul-Joseph Le Moyne de Longueuil (1701-1778). Le contrat est signé devant 31 personnes de la noblesse dont le gouverneur général, Charles, marquis de Beauharnois, l’intendant Claude-Thomas Dupuy, Charles Le Moyne de Longueuil, père de l’époux, Pierre de Rigaud de Cavagnial, cousins, cousines et ami(e)s. Le contrat de mariage établit clairement que la mère donne à sa fille la seigneurie de Soulanges, évaluée à 6 milles livres, en avance de son héritage. Le père de Paul-Joseph offre aux nouveaux mariés, s’ils le désirent, l’hébergement dans sa grande maison de la rue Saint-Paul à Montréal, aujourd’hui l’emplacement du Marché Bonsecours.
La fiabilité des aveux en dénombrements
Une analyse plus étroite des documents nous permet de soulever plusieurs questions sur la validité des données. La première : qui a collecté les données auprès des censitaires ? Il est certain que ni Philippe de Rigaud de Vaudreuil ni Marie-Anne Bécard de Granville, tous deux demeurant à Québec, ne se sont rendus sur place pour interroger les censitaires et pour constater de visu l’état des lieux, notamment la présence de maisons et autres bâtiments ainsi que le nombre d’arpents en terre labourable et en prairie.
L’absence des prénoms des censitaires ou la présence de prénoms qui semble erronés selon des recherches généalogiques démontre certainement un manque de rigueur par l’énumérateur dans la confection des aveux et dénombrement.
Les terres étaient probablement allouées aux censitaires par billets de concession. Nous n’avons trouvé qu’un seul acte du 12 décembre 1723 impliquant la vente de la terre No 6 au-dessus des Cascades par Lambert Larocquebrune à Charles Lemaire dit St-Germain et son épouse Clémence Rapin, elle-même la sœur de Marie Barbe, l’épouse de Jean-Baptiste Sédilot : le censitaire Montreuil nommé dans l’aveu et dénombrement de 1725.
La terre fut concédée à Laroquebrune par le procureur de la seigneuresse de Soulanges, son cousin Pierre de Rigaud de Cavagnial, le futur et dernier gouverneur de la Nouvelle-France. En avril 1729, 20 terres sont concédées entre la
pointe des Cascades et le domaine particulier des seigneuresse et seigneur de Soulanges; elles sont toutes déclarées être en bois debout.
L’étendue des seigneuries ne sera définitivement déterminée qu’en 1791. Le point à partir duquel commence la ligne qui sépare les seigneuries de Vaudreuil et Soulanges est fixé par Joseph Papineau, notaire et arpenteur, à la fin octobre de 1788. Avant la fixation des limites entre la seigneurie de Vaudreuil et celle de Rigaud, plusieurs terres de la seigneurie de Rigaud se retrouvaient sur le territoire de la seigneurie de Vaudreuil.
Les limites de la seigneurie de Soulanges vers le sud-ouest se situaient sur la rive est de la rivière Delisle. L’aveu et dénombrement ne mentionne pas les îles et îlets du fleuve Saint-Laurent de la seigneurie de Soulanges, comme l’île des Cascades, dont la possession fera l’objet d’un litige par la suite. Le nombre d’arpents de terre de large entre la pointe des Cascades et le domaine du seigneur – le site actuel de la centrale hydroélectrique des Cèdres – s’élève à 54, alors qu’en réalité il y a 88 arpents entre les deux.
Les dimensions des terres concédées en profondeur de la pointe des Chenaux de l’aveu et dénombrement de Vaudreuil dépassent largement la largeur réelle de toute la pointe. En 1721, Mathieu Collet, procureur du roi, recense 25 concessions dans Soulanges et 20 concessions dans Vaudreuil.
En cette même année 1721, l’historien P.-F.-X. de Charlevoix, de passage dans la seigneurie de Soulanges en canot, remarque la présence de défrichements. Dans l’inventaire après décès du marquis de Vaudreuil de 1726, on recense 26 établissements dans sa seigneurie. Le recensement des deux seigneuries de 1730 donne 38 familles composées de 134 personnes ayant 460 arpents en terre labourable et 120 en prairie.
Conclusion
De ce 300e anniversaire de la déclaration des aveux et dénombrements des seigneuries de Vaudreuil et de Soulanges, qu’en retenir ? Il y aurait lieu de pousser plus avant l’étude des données des deux documents afin d’établir une liste complète des habitants, de croiser les recherches avec des données généalogiques les concernant, de comparer les données économiques et agricoles des deux seigneuries avec celles des seigneuries voisines de la région de Montréal et avec celles concédées à la même époque afin d’établir un portrait plus précis.
Les aveux et dénombrements de cette période présenteraient un portrait sur papier d’une réalité au sol, mais en omettant certaines réalités illisibles sur un croquis, par exemple. Ils livreraient toutefois un portrait fidèle de la réalité inscrite dans le paysage. S’ils sont imprécis dans le cas des seigneuries de Vaudreuil et de Soulanges, ils racontent, selon nous, le début de leur premier peuplement.
Auteurs : Jean-Luc Brazeau, bénévole, et l’équipe du Centre d’archives de Vaudreuil-Soulanges
Note: 1 arpent = 191,831 pieds = 58,47 m ;
1 lieue = 84 arpents = 4,911 km.
1 livre = 20 sols.
½ minot de blé en 1725 valait 2 livres.
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