Entre 2012 et 2021: on rapporte 1647 décès accidentels qui y sont liés
Les mesures sont insuffisantes pour venir à bout de la crise des opioïdes au Québec
Par La Presse Canadienne
Malgré les mesures mises en place par les gouvernements, la crise des opioïdes continue de faire toujours plus de ravage au Québec. Des chercheurs estiment que l'ampleur de la crise des surdoses qu'ont connue la Colombie-Britannique et l'Ontario se produit maintenant au Québec.
Dans une étude publiée dans la revue médicale Drug and Alcohol Review, des experts issus du Centre de recherche du CHUM et de l'Université de Montréal ont analysé les données du Bureau du coroner du Québec entre 2012 et 2021.
Durant cette période, on rapporte 1647 décès accidentels dus aux opioïdes et 1206 cas où les stimulants étaient en cause.
Entre 2012 et 2017, le nombre annuel de décès est passé de 1,5 pour 100 000 habitants à 2,2. Les taux ont chuté en 2018-2019, atteignant 1,8 décès par 100 000 habitants, avant de grimper à leur point culminant en 2020 avec 2,7 morts pour 100 000 de population. L'année suivante, le taux était de 2,4 par 100 000.
«C’est énorme parce qu’on est dans des populations totales, mais on est sur un très petit dénominateur de personnes qui sont à risque. Autrement dit, si on avait le vrai nombre de personnes qui prennent des opioïdes dans la rue de manière illicite, on aurait une proportion vraiment épeurante de personnes qui meurent», explique Dre Julie Bruneau, spécialiste en médecine de la toxicomanie et coautrice de l'étude.
Elle a déclaré que les données sur de longues périodes montrent que les personnes qui consomment des opioïdes sont généralement dix fois plus à risque de mourir que celles qui n’en consomment pas du même âge. «C’est dû à toutes sortes de raisons, y compris le fait que c’est illégal et le fait qu’ils sont cachés. Il y a des services, mais les services sont bien en deçà des besoins», soutient Dre Bruneau.
Les conclusions de l'étude suggèrent que l'un des facteurs clés de la crise au Québec est la présence accrue de fentanyl et de nouveaux opioïdes synthétiques dans les décès par intoxication aux opioïdes depuis 2020.
De plus, les benzodiazépines ont été détectées de façon constante dans les cas d'intoxication aux opioïdes. «Il y a une diminution de l’héroïne et une augmentation du fentanyl et de toutes sortes de dérivés d'opioïdes, mais il y a aussi en parallèle une augmentation des benzodiazépines, c’est-à-dire des sédatifs ou des calmants qui sont mélangés à ces drogues. Et ces calmants sont souvent mélangés à l’insu des personnes qui consomment et qui pensent consommer juste des opioïdes», détaille Dre Bruneau.
La combinaison d'opioïdes et de benzodiazépines est particulièrement dangereuse, car les effets sédatifs des benzodiazépines se combinent à la dépression respiratoire induite par les opioïdes, ce qui augmente le risque de surdose.
Une crise des stimulants en parallèle
Dre Bruneau affirme que la crise des opioïdes au Québec est multifactorielle. «On a des drogues de pire en pire, de plus en plus puissantes, dans une structure sociale qui est de plus en plus difficile pour toute la population. Et avec trois ans de COVID qui ont exacerbé énormément d’inégalités, de problèmes de détresse et de santé mentale dans toute la population, y compris et sinon plus cette population», dit-elle.
En marge de la crise des opioïdes, les stimulants comme la cocaïne continuent de causer de nombreux décès. Les données montrent une tendance à la hausse des décès dus aux stimulants, les taux étant plus élevés pour la cocaïne que pour l'amphétamine ou la méthamphétamine. Les taux les plus élevés ont aussi été observés en 2020, alors qu'on recensait 2,2 morts pour 100 000 habitants.
La cocaïne a toujours été la drogue la plus fréquemment détectée dans les décès dus aux stimulants, mais elle est passée d'être responsable de 80 % des décès en 2012 à 58 % des décès en 2021. Les amphétamines et méthamphétamines gagnent du terrain. Ces substances ont été détectées dans 30 % des décès en 2012, puis après avoir fluctué au fil des ans, elles ont grimpé à 62 % en 2021.
«On le sait qu’au Québec, les personnes qui utilisent des drogues utilisent beaucoup la cocaïne et les stimulants. C’est une des provinces où il y a eu le plus d’épidémie de cocaïne et de stimulants», indique la chercheuse. Elle n'est donc pas surprise qu'il y ait un nombre croissant de décès attribuables aux stimulants, même si les opioïdes sont plus souvent en cause.
Actions gouvernementales insuffisantes
Dans le cadre de la Journée internationale de sensibilisation aux surdoses, qui a lieu samedi, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a annoncé un rehaussement de 1,6 million $ du Fonds de lutte contre la dépendance dans le but de prévenir les surdoses de substances psychoactives.
Depuis 2017, le gouvernement du Canada a engagé plus de 1 milliard $ pour répondre directement à la crise des surdoses, notamment en améliorant les initiatives de réduction des méfaits. Le gouvernement du Québec a par ailleurs rendu disponible gratuitement la naloxone dans toutes les pharmacies de la province.
Dre Bruneau pense qu'il faut saluer ces actions. «Il y a eu une augmentation de la préoccupation de l’accès aux soins pour les personnes qui ont des problèmes d’usage», constate-t-elle. La spécialiste se réjouit aussi des initiatives comme le programme de distribution de matériel d'injection.
«Mais ce n’est pas suffisant, dit-elle. On ne peut pas penser qu’en prévenant aujourd’hui ceux qui sont à risque de mourir à cause de leur drogue qu'on va être capable d’agir en amont sur la prévention, la détection et les soins centrés sur l’individu qui ne sont pas stigmatisants.»
La stigmatisation fait en sorte que les gens avec un problème de toxicomanie attendent des années avant d'aller chercher de l'aide.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne
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