Une mise en garde de l''Association canadienne des médecins naturopathes
Les naturopathes ne remplacent pas des médecins de famille, prévient-on
Par La Presse Canadienne
Vanessa Lindsay, naturopathe de Vancouver, traite depuis longtemps l'hypertension artérielle d'une patiente par la nutrition et l'exercice.
«Elle a perdu du poids. Elle est plus forte. Elle mange bien. Elle est hydratée. Elle dort mieux», a-t-elle résumé.
Mais la patiente prend toujours deux médicaments contre la tension artérielle – et comme les médecins naturopathes de la Colombie-Britannique sont autorisés à prescrire des médicaments, Mme Lindsay travaille également avec sa patiente sur ces médicaments.
«Je peux l'aider à surveiller et à sevrer en toute sécurité lorsque cela est approprié», a expliqué Mme Lindsay, qui est également présidente de l'organisation des médecins naturopathes de la Colombie-Britannique.
«Donc en utilisant les soins complémentaires lorsque cela est approprié, mais aussi en intégrant ces outils conventionnels lorsque cela est nécessaire.»
La Colombie-Britannique, avec les Territoires du Nord-Ouest, possède le champ d'exercice le plus étendu des médecins naturopathes au Canada, y compris la capacité de prescrire des médicaments et d'être certifié pour administrer des vaccins.
L'Association canadienne des médecins naturopathes souhaite que les praticiens de partout au pays ayant reçu une formation similaire se voient autoriser le même champ d'exercice.
Sa directrice générale, Shawn O'Reilly, a vanté un programme de formation de quatre ans qui, selon elle, inclut la science et distingue les «médecins naturopathes» des praticiens non réglementés qui se disent naturopathes sans aucune formation standardisée.
Dans un contexte de pénurie de médecins de famille au Canada, de nombreux médecins naturopathes se présentent comme une solution, arguant qu'ils ont la formation nécessaire pour être le principal fournisseur de soins d'un patient.
Formation et approche différentes
Cela inquiète les médecins et les experts de la santé qui affirment qu'ils ne sont pas équipés pour être la principale source de soins médicaux pour les patients.
«Nous devons être très prudents», a prévenu la docteure Michelle Cohen, professeure adjointe de médecine à l'Université Queen's et médecin de famille à Brighton, en Ontario.
«En ce qui concerne les médecins naturopathes, je crains que bon nombre d'entre eux — ainsi que certaines de leurs organisations — les présentent comme s'ils étaient simplement une forme différente de médecin de famille.»
«Ce n'est pas le cas», a-t-elle argué.
Ils apprennent un peu l'anatomie et un peu de physiologie, mais il y a aussi beaucoup de choses qu'ils ne font pas, a-t-elle souligné.
Pour devenir médecin naturopathe au Canada, les étudiants doivent détenir un baccalauréat, puis suivre quatre années de formation au Collège canadien de médecine naturopathique. Cette formation implique «les sciences biomédicales et cliniques», y compris la pharmacologie et l'apprentissage de la vaccination, a indiqué Mme O'Reilly.
«C'est vraiment la philosophie et l'approche que les médecins naturopathes adoptent avec leurs patients qui les différencient des autres professionnels de la santé», a-t-elle expliqué.
«Leur approche consiste à considérer la personne dans son ensemble. Donc pas seulement ses aspects physiques, mais aussi ses (facteurs) mentaux, émotionnels, sociaux et environnementaux.»
Les médecins naturopathes sont réglementés en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario et dans les Territoires du Nord-Ouest, a précisé Mme O'Reilly, et sont en train de le devenir en Nouvelle-Écosse.
Mme O'Reilly a déclaré que dans certaines provinces, de nombreuses personnes se disant «naturopathes» ne sont ni qualifiées ni réglementées. Ces praticiens donnent une mauvaise réputation à la profession et sont les plus susceptibles d’être anti-vaccins, a-t-elle mentionné.
Mais la docteure Cohen a contesté toute idée selon laquelle les médecins naturopathes – même ceux qui fréquentent le collège – puissent être considérés comme une sorte de médecin de famille.
«Ils ont une formation complètement différente et suivent un chemin différent», a-t-elle soutenu.
La docteure Cohen a déclaré qu'elle avait examiné «assez attentivement» la formation des médecins naturopathes. Elle juge que ni le programme ni les exigences de la pratique clinique ne les outillent pour diagnostiquer et traiter des maladies graves.
Bien que les médecins naturopathes affirment qu'ils suivent un programme de quatre ans comme le fait un médecin, «la façon dont ils présentent cela est trompeuse», a-t-elle dénoncé.
Les médecins doivent effectuer au moins deux années supplémentaires de résidence après leurs quatre années d'études en médecine avant de pouvoir exercer, a-t-elle indiqué.
Et tandis que les médecins naturopathes doivent avoir au moins 1200 heures de formation clinique, les médecins de famille en ont plus près de 10 000, ajoute-t-elle.
Le type de formation clinique diffère également, a-t-elle soulevé, car les médecins de famille formés voient une grande variété de patients, dont beaucoup sont très malades, dans le cadre de rotations hospitalières.
Sans ce genre d'expérience, un praticien peut manquer un «signal d'alarme» qui pourrait indiquer une maladie grave chez un patient présentant certains symptômes, conduisant à un diagnostic erroné, a-t-elle déclaré.
Un rôle complémentaire?
Néanmoins, la docteure Cohen considère qu'il est utile que les médecins naturopathes travaillent en coopération avec les médecins de famille et les infirmières praticiennes, «au sein d'une équipe prodiguant des soins qui correspondent à leur domaine d'expertise». Cela pourrait inclure des conseils sur le mode de vie et l’alimentation et la fourniture d’informations fondées sur des preuves sur les suppléments et sur la manière dont ils pourraient interagir avec d’autres médicaments.
Certains peuvent également être particulièrement qualifiés pour fournir des conseils scientifiques sur les vaccins aux personnes hésitantes et qui ne font pas confiance au système médical, a déclaré la docteure Cohen, soulignant que les médecins naturopathes ont participé aux campagnes de vaccination contre la COVID-19 en Ontario.
La docteure Tahmeena Ali, présidente de BC Family Doctors, a convenu que les médecins naturopathes peuvent jouer un rôle spécifique au sein de l'équipe de soins primaires d'un patient et a déclaré qu'elle appréciait leurs contributions.
«Ils sont souvent mieux informés sur les aspects préventifs et plus holistiques du régime alimentaire et du mode de vie en matière de promotion de la santé, de prévention et de guérison», a-t-elle expliqué.
Elle a souligné que la communication et la coordination entre les prestataires sont essentielles pour le bien-être du patient et pour éviter de commander des tests de diagnostic ou des traitements en double.
Une «rhétorique pseudoscientifique»
Mais d’autres experts de la santé sont beaucoup plus sceptiques.
«Les naturopathes qui se présentent comme une solution à la crise actuelle sont pour le moins trompeurs. Et du point de vue d'un médecin de famille, c'est plutôt horrible», estime la docteure Sarah Bates, présidente par intérim de la section de médecine familiale de l'Alberta Medical Association.
«Je crois fondamentalement que les soins primaires sont un sport d'équipe. À 100 %. Nous devrions travailler collectivement avec les infirmières, les infirmières praticiennes, les pharmaciens et les psychologues et compléter la pratique de chacun, sans la concurrencer. Mais il n'y a pas place pour les médecins naturopathes», a-t-elle jugé.
«Il s'agit en grande partie de rhétorique pseudoscientifique, a-t-elle souligné. Il y a beaucoup de mal à faire.»
La docteure Bates se souvient encore d'une patiente, il y a environ 15 ans, qui souffrait d'un saignement rectal; elle l'avait donc orientée vers des tests de diagnostic, notamment une coloscopie.
Mais sa patiente n’a pas opté pour l’intervention.
«Elle est allée voir son médecin naturopathe, et un an et demi plus tard, elle est revenue vers moi avec d'autres saignements et une perte de poids. Elle avait l'air terriblement malade», a-t-elle relaté.
Le naturopathe traitait le patient contre la levure Candida, une infection fongique, a-t-elle déclaré.
«Elle est décédée environ six mois plus tard d'un cancer du côlon.»
La docteure Bates se rend compte que cela peut donner l'impression qu'elle essaie de protéger son «territoire», mais elle a déclaré qu'elle essayait simplement de protéger les patients.
«Il y a assez de travail ici pour tout le monde, a-t-elle indiqué. Mais la solution n'est pas d'introduire un praticien sans la formation appropriée pour prodiguer un certain niveau de soins.»
Blake Murdoch, associé de recherche principal au Health Law Institute de l'Université de l'Alberta, est du même avis.
«Une grande partie de la naturopathie est basée sur le principe selon lequel la médecine moderne ne traite que les symptômes plutôt que la cause sous-jacente, ce qui est manifestement faux, sauf lorsqu'il n'existe aucun traitement efficace connu par la science», a expliqué M. Murdoch par courriel.
«C'est là que la médecine alternative est censée "combler les lacunes" – avec des choses qui ne fonctionnent pas ou qui ne sont pas testées et potentiellement dangereuses.»
Nicole Ireland, La Presse Canadienne
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