Les personnes ayant perdu un proche par suicide demeurent stigmatisées
Par La Presse Canadienne
Si la prévention du suicide devient un sujet de moins en moins tabou, il est toujours difficile d'aborder une personne qui a perdu un être cher qui s’est enlevé la vie, selon un expert. Et les proches endeuillés sont souvent peu au courant des ressources qui s’offrent à eux.
Mélissa Bérubé a perdu son frère Sébastien par suicide il y a 17 ans. Celle qui est désormais coordonnatrice à la philanthropie et à la mobilisation à l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS), depuis quelques années, s’implique dans la cause de la prévention du suicide depuis près de 15 ans.
Sébastien avait 33 ans lorsqu’il s’est enlevé la vie. «Il aurait eu 50 ans la semaine passée», raconte Mme Bérubé au bout du fil, un sanglot dans la voix, soulignant que malgré les années, les souvenirs ramènent de vives émotions.
«Sébastien, il était dépressif, il était alcoolique aussi. Il n’allait pas bien depuis des années, on était toujours inquiètes pour lui», raconte-t-elle, en parlant d’elle-même, de sa sœur et de sa mère.
Malgré leurs inquiétudes, la mort soudaine de Sébastien a provoqué un grand choc.
«On ne s’attend jamais à ce que quelqu’un pose ce geste-là. C’est un geste qui est extrêmement violent envers soi-même, explique Mme Bérubé. Quand ma sœur m’a téléphoné pour m’annoncer que Sébastien s’était suicidé, pour moi ça a vraiment été un grand choc, (de) l'incompréhension aussi.»
Pour l’accompagner au travers de son deuil, Mme Bérubé a fait appel au Centre de prévention du suicide et d’intervention de crise du Bas-Saint-Laurent. Un an après le décès de son frère, elle a participé à un groupe de soutien composé de plusieurs personnes endeuillées et d’intervenantes.
«Ça m’avait vraiment fait du bien, parce que tu partages avec d’autres personnes qui ont vécu des choses similaires à toi», confie-t-elle.
Alors que se déroule la Semaine de prévention du suicide du 4 au 10 février, Mme Bérubé invite les personnes endeuillées à aller chercher de l’aide. Elle souligne que la ligne 1-866-APPELLE est aussi destinée aux personnes qui ont perdu un proche par suicide, ou qui souhaitent obtenir de l’aide concernant une personne dans leur entourage qui les inquiète.
«J’ai une amie qui est en travail social qui m’avait conseillé de le faire en me disant : tu peux appeler la ligne d’aide, ils peuvent appeler ton frère ou te conseiller, puis je ne l’ai pas fait. J’ai toujours regretté de ne pas l’avoir fait, je reste encore avec ce regret-là. Même si ça n’avait peut-être rien changé, au moins je l’aurais fait», confie-t-elle, en disant que les personnes endeuillées vivent souvent une grande culpabilité de ne pas avoir su détecter la détresse, ou la façon d’y réagir.
«On vit une culpabilité, puis des fois les messages qu’on véhicule peuvent devenir culpabilisants, mais il faut se dire, quand vous étiez dans cette situation-là, vous ne saviez pas la finalité, vous ne saviez pas ce qui allait arriver, il faut se dire que vous avez fait de votre mieux.»
L’entourage d’une personne qui a perdu un proche par suicide a aussi un rôle à jouer.
«Être à l’écoute, de s’attarder si la personne va bien, d’être là, tout simplement, c’est ce qui est à faire. Et d’encourager la demande d’aide, surtout chez les personnes endeuillées par suicide, parce qu’on devient des personnes quand même vulnérables et à risque de passer à l’acte suicidaire», indique Mme Bérubé.
Une mort toujours stigmatisée
Pour Alain Legault, professeur associé au département de psychologie de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie (CRISE), le sujet des personnes endeuillées par suicide est encore trop peu abordé.
«D'abord, on ne sait pas exactement combien de personnes vivent ce type de deuil là. On a un décompte très précis du nombre de suicides, mais on ne sait pas combien de personnes sont en deuil à la suite du suicide», explique le professeur.
La mort d'une personne par suicide rend toujours mal à l'aise au sein de la population, remarque M. Legault.
«Il y a une espèce de stigmatisation autour des décès par suicide. Quand on parle du suicide, on associe beaucoup ça à la dépression, à la détresse psychologique. La personne qui se suicide, il y a quelque chose qui ne marchait pas. Alors si mon collègue de travail m'a dit que son fils s'est suicidé, mon réflexe, c'est de me dire: voyons donc, comment ça se fait que son fils était désespéré à ce point-là, comment ça se fait qu'il ne l'a pas vu», explique M. Legault.
Et en se posant ces questions, la personne peut oublier «d'être à l'écoute de la douleur de l'autre personne».
«Elle se les pose ces questions-là (la personne qui a perdu un proche), dit-il. On n'a pas nécessairement pas besoin que quelqu'un nous les pose en plus.»
Selon M. Legault, il faut être à l'écoute de la personne qui a perdu un proche par suicide comme pour n'importe quelle personne qui perdrait un proche de la maladie, par exemple, et faire preuve d'empathie.
Plusieurs éléments distinguent cependant le deuil d'une personne qui s'est enlevé la vie. Le décès par suicide est surtout inattendu, mais il représente aussi une mort violente.
«Les recherches qui ont été faites un peu partout en Europe et en Amérique du Nord montrent que la majorité des personnes qui vivent un deuil après un suicide (s'en sortent), mais ils ont besoin d'être soutenus là-dedans», souligne M. Legault.
Toutefois, le suicide d'un proche peut dans certains cas déclencher un traumatisme, puisqu'il s'agit d'une mort violente.
«Parfois les gens vivent un deuil et ont des symptômes post-traumatiques. Alors ça, ça a besoin d'être accompagné par des professionnels», affirme M. Legault.
Selon l'AQPS, trois personnes s'enlèvent la vie chaque jour au Québec. Le groupe le plus à risque est celui constitué des hommes de 50 à 64.
L'organisme invite la population à aborder directement le sujet du suicide avec un proche qui les inquiète pour ouvrir la discussion sur le sujet, ou à se diriger vers les ressources d'aide.
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Vous avez besoin d'aide ou vous vous inquiétez pour un proche?
1-866-APPELLE
Le clavardage avec un intervenant est disponible sur le site suicide.ca, où se trouvent plusieurs autres ressources.
Coralie Laplante, La Presse Canadienne
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