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Doris Turcotte – 60 ans à la librairie Boyer

durée 06h00
4 octobre 2015
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Dernièrement, suivant la fermeture de la succursale des Librairies Boyer du Faubourg de l’île à Pincourt, j’ai eu le bonheur d’avoir un bref entretien avec Doris Turcotte, une femme qui a dédié 60 ans de sa vie à la tenue de livres et à la gestion.

C’est le 1er janvier 1952 que Gérald Boyer fait l'acquisition de la librairie L.N. Leduc de la rue Nicholson à Valleyfield. La librairie comptait trois employés qui vendaient des livres, des articles religieux et scolaires.

Madame Turcotte, en 1955 vous avez 18 ans, comment avez-vous pris la décision de travailler dans une librairie?

« Écouter, moi c’est vraiment arrivé par hasard. À cette époque, je travaillais pour le vieux United et j’avais une amie, Claire, qui travaillait à la librairie. Le vendredi soir, nous avions l’habitude d’aller manger au restaurant, alors, j’allais rejoindre mon amie à son travail. Parfois, je devais aider Claire à prendre l’inventaire des chapelets et des médailles religieuses avant qu’elle ne puisse quitter les lieux. Avec le temps, Monsieur Boyer eut besoin de personnel et ma mère m’a dit : “pourquoi tu ne vas pas travailler à la librairie? Il me semble que je te verrais là.”

Depuis le temps que j’assistais mon amie Claire, Monsieur Boyer ne comprenait pas pourquoi je n’avais jamais demandé à travailler pour lui. Imaginer que c’était depuis l’entrevue d’embauche de Claire, à laquelle Madame Turcotte l’avait accompagnée que Monsieur Boyer regrettait ne pas avoir embauché les deux jeunes femmes.

À cette époque, avoir du travail nous suffisait, c’est nos parents qui nous donnaient l’ambition de regarder ailleurs de dire Madame Turcotte. Sur quoi elle ajoute en riant : J’ai fait un bon move ça a l’air… »

À la librairie, y avait-il des livres à l’index?

« Non, pas vraiment, et s’il y en avait, il les cachait. Nous avions des livres de religions, mais des livres à l’index ce n’étaient certainement pas à la vue. Je ne me souviens pas au juste quels livres étaient à l’index. » Il faut rappeler qu’à cette époque, les livres à l’index étaient des livres prohibés, condamnée par l’église parce qu’ils étaient susceptibles de mettre en péril la foi ou la vertu du lecteur, il était donc important que ces livres ne soient pas visibles.

Avant même que ce ne soit un terme à la « mode », Madame Turcotte pratiquait déjà la conciliation travail-famille. Comme elle considère qu’elle n’a jamais eu l’étoffe d’être une mère au foyer, elle a poursuivi sa carrière malgré « la mode du temps » qui faisait encore loi. Elle est consciente que sans l’aide de sa mère qui habitait le même duplex, la situation aurait été différente.

Avec sa voiture, Madame Turcotte revenait tous les midis à la maison pour servir le repas à ses enfants et s’il lui arrivait d’être en retard au travail, elle reprenait son temps. La souplesse de son employeur a été indispensable pour elle. En ce sens, Madame Turcotte fait partie de ces femmes qui ont revendiqué des droits d’abord pour elles et sans trop le réaliser pour les autres qui suivent leurs traces.

Madame Turcotte avoue qu’en 60 ans, qu’il n’y a pas eu un matin où elle aurait préféré rester chez elle, même si elle a travaillé entre 40 et 50 heures par semaine. En 2014, préretraite oblige, son horaire variera entre 20 et 25 heures par semaine jusqu’en juillet dernier.

En 60 ans, quel a été le changement le plus marquant pour la librairie?

À son avis c’est surtout l’arrivée des livres dans les grandes chaînes. « C’est ça qui a fait le plus de tort parce qu’elles vendent le livre au prix que nous, les librairies nous l’achetons et bien entendu nous devons le vendre plus cher. Le gouvernement devait légiférer dans ce domaine afin que tous paie le même prix, mais cette loi n’est pas encore adoptée et le ne sera-t-elle jamais? »

Croyez-vous que la tablette va finir par détrôner le livre papier?

« Il est certain que la tablette a déjà pris une part du marché, mais je crois qu’il va toujours avoir des gens qui préfèrent le livre papier. Pour plusieurs, c’est important de conserver le livre pour le lire à plusieurs reprises, mais aussi pour simplement le garder. »

Et vous, quel est votre livre préféré ou votre genre de littérature?

« Moi, je me considère d’abord comme une mauvaise lectrice puisque lorsque je commence un livre, je dois le lire d’un couvert à l’autre sans le déposer. Que voulez-vous, quand un livre est intéressant, je veux connaître la fin, je ne suis pas correcte, je le sais. Je vais donc vers les biographies, les cas vécus qui sont plus rapides à lire. Des livres du type Mary Higgins Clark, j’en lis, mais peu, car je trouve que l’histoire est toujours la même. »

Madame Turcotte êtes vous finalement et définitivement à la retraite?

Sa réponse est un oui, oui, sans trop être certaine de ce que ça représente. « Il faut que je m’habitue et normalement je vais m’occuper à faire du bénévolat, je vais m’inscrire à des cours de mise en forme pour garder les acquis, il faut que je me trouve des choses à faire, c’est sur. »

Comme bon nombre de femmes qui se retrouvent à la maison pour un congé prolongé elle avoue avoir commencé par faire du ménage un peu partout, épurer sa garde-robe, nettoyer les penderies et à faire le tour des armoires.

Madame Turcotte est sans doute l’une des dernières personnes qui pourront afficher avec fierté  60 ans de service pour une seule organisation. Et elle s’empresse d’ajouter : « Oui c’est probable, car les gens sont plus instruits et entrent sur le marché du travail un peu plus tard, soit vers 23, 25 ans. »

Pour l’instant, madame Turcotte continue d’apprivoiser sa retraite en apprenant à relaxer et à remettre à demain...

Texte : Line Cholette







 

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