Alors que le programme tire à sa fin, les étudiants qui en ont profités nous donnent un dernier regard de l’impact qu’il a eu sur leurs vies.
Rêves du huitième étage : La dernière cohorte de Bourse Perspective Québec

Par Salle des nouvelles
En collaboration avec Maria Jarrache
Texte de Maria Jarrache, étudiante en journalisme à l'université Concordia
Devant les portes de l’Université McGill, Hanna Myara m’accueille dans son immeuble du centre-ville de Montréal. L’entrée scintille d’une lumière reflétée par un grand chandelier de cristal. Elle me conduit vers l’ascenseur et me dirige jusqu’au huitième étage. Au lieu d’entrer dans son propre appartement, Hanna sourit et ouvre la porte de celui en face.
Entre deux bouchées de brie sur craquelins, son meilleur ami, Youssef Mustafa, nous accueille. Il était sur le canapé, comme s’il s’attendait à ce qu’elle débarque : ils habitent l’un en face de l’autre.
Hanna, 20 ans, étudie l’enseignement primaire juste en face, à l’Université McGill. Ce n’a pas toujours été son rêve. Elle avait envisagé des études en relations internationales ou en science politique. Mais sa profession choisie lui va à merveille : avec son sourire contagieux et ses yeux bruns chaleureux, elle parle d’une voix chantante et rapide, parfaite pour lire des livres de Frisson l’écureuil. Elle parle de son programme avec une passion que peu de gens connaîtront un jour. « C’est un environnement incroyable. J’aime que nous soyons tous des personnes qui veulent aider », dit-elle.
Hanna a grandi à Hudson, une petite ville à une heure de route de Montréal. Lors de sa première session à l’université, elle a tenté de faire le trajet de deux heures quotidiennement, mais a vite trouvé ça épuisant. Elle a dû déménager, sans savoir si elle en aurait les moyens. Heureusement, elle faisait partie d’une cohorte chanceuse.
En effet, Hanna n’a pas eu à s’inquiéter des frais de scolarité : ses études sont entièrement financées par le programme de Bourse Perspective Québec. Lancé en 2022, il vise à stimuler les inscriptions dans les domaines en pénurie de main-d’œuvre au Québec. Cette année, la CAQ a annoncé que la cohorte de Hanna serait la dernière à en bénéficier. La liste des programmes soutenus inclut le génie, les soins infirmiers et l’enseignement.
Pour Youssef, le meilleur ami de Hanna et l’amateur de brie, ce programme représentait bien plus qu’un simple soutien financier. Il fait la différence entre habiter avec ses parents, à Vaudreuil-Dorion, ou vivre en ville. Étudiant en génie mécanique de 20 ans, il affirme : « Je n’aurais même pas pu envisager de vivre ici. C’est l’expérience universitaire dont je rêvais. Ce ne serait pas possible si j’étais resté chez moi. »
Au huitième étage de cet immeuble de la rue Sherbrooke, les portes restent déverrouillées. Les soupers partagés et les soirées cinéma improvisées apportent une ambiance constante de rires. Ils ont créé une version de la vie étudiante qui semble tout droit sortie d’une série télévisée des années 90 – rendue possible par un programme aujourd’hui menacé.
Cet hiver, Hanna a dû se trouver un nouveau travail comme réceptionniste dans ce qu’elle décrit comme étant un « salon végan ». Entre ses cours et ses plans de leçons, elle se rend au salon de Saint-Henri pour de longs quarts de travail, prenant des appels et des rendez-vous. « C’était comme si j’étais dans le désert et que j’avais enfin trouvé de l’eau. J’avais besoin d’un emploi », dit-elle. Le poste est arrivé juste au moment où ses économies touchaient à leur fin, avec la hausse des coûts de l’épicerie, du loyer et du transport. « Je travaille 30 heures par semaine tout en étant étudiante à temps plein », explique-t-elle, un horaire qui laisse peu de place au repos.
De retour dans l’appartement de la rue Sherbrooke, la nouvelle de l’annulation du programme pèse lourd. Cinq des huit colocataires en bénéficient. Ils sont inquiets pour les prochaines cohortes d’étudiants. Ceux-ci recevaient une bourse de 2500 $ à la fin de chaque session sous condition d’avoir reçu la note de réussite dans tous leurs cours.
Si Hanna et ses amis ont pu façonner leur propre définition du rêve étudiant, la prochaine génération n’aura peut-être pas cette chance. Sans le programme de Bourse Perspective Québec, nos futurs enseignants, infirmiers et ingénieurs devront faire des choix difficiles : faire la navette ou s’endetter pour payer un appartement coûteux au centre-ville.
Combien de futures Hanna perdrons-nous ? Combien de Youssef passeront leurs années universitaires à jongler entre des quarts de travail en restauration, sacrifiant des heures précieuses d’étude ? Combien de jeunes esprits brillants s’endormiront dans des transports en commun de deux heures qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’éviter ? Pour chaque Hanna et Youssef qui ont atteint ce huitième étage, qui ont trouvé une communauté et du soutien, combien resteront en bas ?
Dans sa brève existence, le programme avait ouvert plusieurs portes ; sa clôture menace d’en fermer autant.
L’ambiance était différente. Les rires et le tumulte habituels avaient disparu, remplacés par des boîtes et des valises éparpillées dans l’appartement. La cuisine autrefois animée ne résonne plus que du bourdonnement du réfrigérateur. C’était étrange, presque inquiétant. Le huitième étage allait bientôt changer de visage, car la plupart des étudiants déménagent ou obtiennent leur diplôme.
Les étudiants qui avaient bâti ce foyer improvisé se dispersent. C’est une transition nécessaire, mais elle souligne une perte plus profonde, pas seulement celle du huitième étage, mais de ce qu’il avait rendu possible. Le gouvernement n’a pas seulement signé un chèque : il a ouvert une voie. Ce programme n’a pas simplement allégé le fardeau financier, il a offert du temps – du temps pour nouer des amitiés, pour étudier, pour devenir les adultes qu’ils sont appelés à être.
Mais Hanna, elle, reste.
Alors qu’elle m’accueille une dernière fois, je ne peux m’empêcher de lui poser des questions sur cette transition. « J’ai justement signé mon bail aujourd’hui », dit-elle. « Je suis excitée parce que je vais avoir un nouveau chat ! Mais je ne sais pas si ça va être la même ambiance. Ça m’inquiète un peu. »
Interrogée sur la prochaine cohorte, Hanna exprime son inquiétude. « C’est injuste, c’est quelque chose que tellement de gens utilisent. C’est la raison pour laquelle on est à l’école. Ils enlèvent tellement d’enseignants, d’ingénieurs, d’infirmières en devenir. C’était quelque chose qui me soutenait, pour que je n’aie pas à m’épuiser. »
En quittant l’appartement, les mots rapides de Hanna et les répliques pleines d’esprit de Youssef résonnaient encore dans ma tête. Une fois dehors, la ville poursuivait son rythme habituel : les gens profitaient d’une des premières journées chaudes de l’année. En face, des étudiants de McGill jouent au frisbee, allongés sur des couvertures de pique-nique, mangeant des hot-dogs. Ils ne sont pas plus âgés que ceux qui s’apprêtent à les suivre, mais leurs rires chantent déjà la fin de ce programme.
C’est la fin d’un chapitre mémorable au huitième étage de la rue Sherbrooke – une démonstration de l’impact que peut avoir un programme de financement, même sur les moments les plus inoubliables de la vie universitaire.
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