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Dorion Garden : un projet innovant et précurseur

durée 18h00
12 janvier 2025
duréeTemps de lecture 9 minutes
Par
Centre d'Archives de Vaudreuil-Soulanges

Nous sommes en l’an 1954, la Ville de Dorion est en effervescence. Nombre de nouvelles industries et nouveaux commerces s’installent sur son territoire. La population s’accroît, les gens étant à la recherche de proximité avec les commodités et surtout les possibilités d’emploi.

C’est dans cette atmosphère de progrès et de renouveau qu’un projet innovateur et précurseur d’un modèle d’urbanisme qui deviendra commun au Québec vient s’installer à Dorion.

C’est le projet d’un développement résidentiel sous la gouverne des entrepreneurs Roméo Pratt et François-Xavier Brock Fuger, très prolifiques dans la construction d’unités et d’ensembles d’habitations dans la région de Montréal. Ce projet, ils le nomment le Dorion Garden. 

Première pelletée de terre officielle

Le soir du 12 juillet 1954, sous la pluie battante, l’on procède à la première pelletée de terre officielle du projet sur la rue Valois vers la Route nationale 17 (aujourd’hui Route 342). C’est monsieur le maire Léo-Paul Leroux qui lève la pelletée de terre en compagnie des principales autorités de Dorion ainsi que le député J.-E. Jeannotte. Est aussi présent, l’abbé J.-E. Laberge, curé de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, qui lui bénit les lieux. La soirée se termine chez monsieur le maire sur l’île Leroux à Dorion. 

Il est important de nommer plusieurs des personnes présentes à cet événement officiel puisque cela confirme le caractère important de ce nouveau projet et surtout, cela démontre que nombre de personnes influentes au sein de la Ville de Dorion ont voulu collaborer et/ou supporter le projet grandiose de Pratt & Fuger.

Voici une liste sommaire des personnes présentes ce soir de juillet 1954 : Loyola Schmidt (propriétaire de la quincaillerie du même nom et futur député), Albert Castonguay (grand homme d’affaires de Dorion, propriétaire des Ameublements Dorion, du Marché Castonguay, de la Bijouterie Castonguay et du magasin de vêtements pour dames et enfants au 20 boulevard Harwood), René Montpetit (tailleur sur le boulevard Harwood), Roger Chicoine (magasin de chaussures au 14 boulevard Harwood), Luc Armand Asselin (propriétaire de Menuiserie Dorion autrement connu sous le nom de Dorion Doors), Bernard Boyer (propriétaire de Boyer Music Bar au 4 boulevard Harwood et également propriétaire de la Pharmacie Bernard Boyer) ainsi que Paul W. Bélanger et Raymond Levac (les deux copropriétaires de Bélanger & Levac Assurances générales). 

Projet initial

Le projet initial de Pratt & Fuger consistait en la construction de 950 maisons. La subdivision est acceptée par la Central Mortgage Housing Company. On présente cinq modèles de maisons pour les clients, tous incluant six pièces.

Les premières unités sont construites sur la rue Valois sur des terrains d’approximativement 6 000 pieds carrés (en moyenne 60 pieds, donc 18,2 mètres par 100 pieds, donc 30,5 mètres) et les maisons mesurent 24 x 38,6 pieds (7,31 x 11,76 mètres). Initialement, le bureau temporaire d’achat est situé au 15 rue Saint-Charles dans le bureau du notaire Ubald Larivée. Il est ouvert dès l’année 1954. 

Les clients de ces premières unités ont les choix et/ou les spécifications suivantes : 

  • Maison en pierre des champs, en brique, en « clapboard » rustique, ordinaire ou en stucco;
  • 6 pièces, soit 3 chambres à coucher, un grand vivoir, un salon ultra-moderne, une cuisine et une salle de bain;
  • Cave pleine grandeur en ciment coulé;
  • Plomberie en cuivre;
  • Isolation avec de la laine dans les murs et plafonds;
  • Finition intérieure avec des moulures en pin blanc et planchers en merisiers sablés;
  • Peinture avec couleurs au choix du client;
  • Terrassement, devanture entièrement terrassée avec un passage fini en gravelle;
  • Systèmes d’eau et d’égouts dignes des villes modernes;

Territoire choisi

Le territoire sur lequel le projet est construit appartenait originalement à la municipalité de paroisse de Vaudreuil. Cette vaste bande de terre en pointe, assez dénudée de végétation et située entre les voies ferrées du Canadien National et celles du Canadien Pacifique, comprenait des champs et des propriétés agricoles.

Au cours de son histoire, on l’a appelé notamment la montée des Français et la montée des Renards. En 1949, la chose est réglée, la Ville de Dorion devient propriétaire du terrain contre une compensation de 6 000 $ (78 926$ en 2024). Cette acquisition ouvre donc la voie à l’agrandissement de la Ville de Dorion. On anticipait initialement d’en faire un développement de type industriel.   

Nouveau système d’achat

La Société Centrale d’hypothèque et de Logements approuve tous les prêts consentis par les promoteurs pour la réalisation du projet. C’est cette même société qui fait réserver le terrain pour l’éventuelle école Harwood.

La société fournit également les hypothèques ainsi que la garantie (assurance hypothécaire) pour les acheteurs. Toutes les maisons sont représentées dans les grands livres et les catalogues d’architecture de la Société. Avec ce système d’achat, c’est la mise en place d’une nouvelle vision de l’accessibilité à l’habitat. 

Le projet fait boule de neige et s’agrandit

Les tout premiers travaux de construction s’effectuent en 1956. Au fur et à mesure que les maisons s’élèvent, on construit les chemins, les égouts et les aqueducs. L’aménagement de parcs et de terrains verts est également prévu. 

Les promoteurs font des parades le samedi et le dimanche pour essayer d’attirer de la nouvelle clientèle. Il y a des ballons et de la crème glacée pour les enfants. 

Le prix des maisons affiché en janvier 1958 est de 10 800 $ (114 211$ en 2024). Les conditions sont très claires: on doit avoir un prêt approuvé de 9 720 $, un paiement initial de 1 080 $ en espèces, la balance de 980 $ doit être payée en versements de 10 $ par mois avec un intérêt de 6 %.

On peut ainsi devenir propriétaire pour aussi peu que le prix d’un loyer mensuel, et ce, avec des conditions relativement faciles. Au début de l’an 1958, le bureau de vente est situé au 86 rue Valois et, vers la fin de l’année, il est déménagé au 140 rue Valois. On le joint au téléphone 24/24 et c’est ouvert 7 jours sur 7. 

En 1958, on parle maintenant d’un projet de 1 200 maisons plutôt que le nombre de 950 initialement pensé. On promet des terrains hyper bien divisés, des rues larges avec de la verdure un peu partout, notamment des érables canadiens bordant les rues.

À ce moment-ci, 100 maisons sont en cours de construction et 60 résidences sont déjà terminées et habitées. Les gens achètent des maisons sur papier, parfois même pas encore construites ou des maisons qui viennent tout juste d’être construites.

On réserve un côté de la rue Valois pour les établissements commerciaux, qui sera d’ailleurs asphaltée en 1958. Un autre espace est également réservé dans le quartier pour des industries. 

Les nouveaux arrivants peuvent profiter du fait que le secteur est desservi par deux chemins de fer et qu’il y a un excellent service de protection contre les incendies ainsi qu’une police à Dorion.

À proximité, il y a également une salle de cinéma, plusieurs salles de danses, une salle de quilles de six allées, deux spacieux parcs récréatifs, une piscine pour adultes et enfants et plusieurs courts de tennis. Les amateurs de pêche et de yachting sont également choyés, car le lac Saint-Louis et la rivière des Outaouais sont à proximité. 

Au mois de juillet 1958, le prix a augmenté de 1 000 $ passant maintenant à 11 800 $ (124 786$ en 2024) pour une maison, ce qui fait des paiements mensuels de 63,34 $ (669 $ en 2024).

On offre alors notamment les options suivantes pour les maisons : chauffage automatique à l’huile, murs en plâtre sec, choix de salle de bains en tuiles de couleur, plancher de bois franc, fixtures électriques fournies et installées, grandes garde-robes, terrain nivelé, tuiles de caoutchouc dans la cuisine, dessus de comptoirs en arborite et autres. 

Les commerces et industries de la région sont mis à contribution

Les commerces et industries de Dorion et de Vaudreuil sont mis à la contribution du projet. Le briquetage est fait par les entrepreneurs Liboiron & Brosseau de Dorion, l’entrepreneur général du projet est Donat Laplante, de l’avenue de la Paix à Vaudreuil, le manufacturier de portes et fenêtres Armand Dicaire offre ses produits, Dorion Briques Inc. offre ses produits, René Charrette huile de chauffage offre ses services, les Ameublements Dorion offrent leurs produits, la pierre Litho-Stone provient de Besner & Frères de la Petite Côte à Vaudreuil et Marcel Sauvé, paysagiste de la Petite-Côte offre également ses services.

Ceci n’est qu’un petit échantillon des entrepreneurs et commerçants qui prennent part au projet du Dorion Garden. 
 
Caractéristiques urbanistiques innovatrices 

Le Dorion Garden, c’est l’éclosion d’un nouveau système d’urbanisation qui s’inspire de la cité jardin britannique, mais qui est appliqué à la banlieue. Ce système d’urbanisation deviendra courant au Québec dès la fin des années 1950, et le projet du Dorion Garden est donc précurseur de ce mode de développement. Le quartier est un exemplaire dans l’histoire de l’urbanisme au Québec.

C’est l’époque où l’on découvre les mérites du bungalow, un type de demeure peu dispendieux qui peut être construit rapidement. On estime que chaque maison du Dorion Garden prendra environ 10 jours à construire. C’est l’avènement de la maison avant-gardiste avec toutes les nécessités de l’ère moderne, cuisine, salle de bain, etc. Dans ce nouveau quartier prend place un nouveau milieu de vie, c’est la maison abordable installée dans un décor enchanteur. 

Le quartier se modifie rapidement selon les désirs des nouveaux propriétaires. Certains plantent des arbres ou posent des clôtures alors que d’autres modifient leurs entrées et ainsi de suite. Le même constat s’applique à l’intérieur, car les bungalows peuvent être facilement rénovés et adaptés aux besoins qui évoluent selon les propriétaires. 

Le projet est marqué par un tracé de rues curvilinéaires qui contribue à sécuriser le quartier, car il ralentit le trafic et évite la circulation inutile. Le tracé est fait pour qu’on ne s’y aventure pas inutilement. On ne traverse pas le Dorion Garden. Si l’on s’y hasarde, c’est que nous avons une raison d’y être, un endroit particulier où se rendre. Ce nouveau mode de tracé crée également un paysage pittoresque, il appelle au verdissement. Dès le départ, on voit apparaitre des arbres, des jardins et des parterres de fleurs.

Ce modèle d’urbanisme va à l’encontre de ce qu’on faisait auparavant, où l’on regroupait au centre de la ville ou du village, l’église, l’école et le couvent près de la rue commerciale et marchande. Maintenant, on délocalise les lieux de vie, on s’installe en périphérie et on met en place une infrastructure pouvant accueillir les petites familles à même les quartiers. L’école apparaît dorénavant au sein même des quartiers.

C’est le cas pour le Dorion Garden avec l’école Harwood. Ces écoles de quartier sont habituellement accompagnées d’aires de jeux et de grands parcs. C’est précisément ce qui sera construit comme voisinage de l’école Harwood. Ce nouveau modèle de quartier a donc tout ce qu’il faut pour la vie de famille. 

Éviter la déconfiguration du quartier

Le quartier Dorion Garden est un ensemble, il faut conserver son unicité en évitant l’intrusion de grandes maisons. On doit éviter les modifications à large échelle, par exemple transformer la maison en deux étages ou construire un énorme garage. C’est un effet d’ensemble, il faut conserver l’échelle du quartier, conserver la vie de proximité que cela permet et la cohabitation entre les gens.

Ce quartier est révélateur de la qualité de vie que la classe moyenne québécoise s’est donnée et a acquise dans les années 1950 et 1960. C’est pourquoi il faut éviter la déconfiguration du quartier et conserver le plus possible l’architecture originale.

École Harwood 

Le terrain choisi pour la future école se trouve sur une partie du lot 1591. On le choisit car le terrain ne nécessite pas d’aplanissement en entier, il est largement plat. On peut également y joindre un parc (le Dorion-Gardens) et des aires de jeux.

On choisit donc le terrain situé dans la courbure de la 8e avenue. L’élément de la courbure inspire fortement les architectes William George de Belle et John Edric White dans la conception de leur plan. 

On confie la construction à Maurice (Semeteys) Construction. La bâtisse d’origine contient 14 classes placées de façon symétrique chaque bord du couloir débouchant sur le gymnase, qui est la pièce centrale de l’aménagement.  

Inondations
 

Le vendredi 31 mars 1961, une température anormalement douce fait fondre rapidement les champs autour du secteur de Dorion Garden et l’eau descend d’aussi loin que la Petite Côte. 75 maisons du nouvellement construit quartier de Dorion Garden voient leur sous-sol inondé. 

Les fossés et le gros tuyau d’égouttement n’ont pas suffit à gérer la quantité d’eau. Le chef de la police, Jean Lapointe, avait été averti que l’eau montait rapidement et ce dernier a utilisé la pompe à incendie pour essayer de pallier la situation, mais cela n’a pas été suffisant.

Bill Sutherland, un sergent-major de l’armée canadienne qui résidait dans le Garden, propose qu’on fasse appel à l’armée et ce fut chose faite. Sept pompes sont mises en place par l’armée afin de ralentir la marche des eaux.

Grâce à l’armée, au travail des sapeurs et des volontaires, la situation était revenue à la normale dès le samedi après-midi. Les dommages ont été considérables pour les gens touchés. Les caves inondées ont été synonymes de meubles à jeter, de système de chauffage à refaire ou à réparer, de télévisions à jeter et de matériel personnel à jeter. 

Conclusion

Voici donc la petite histoire des débuts de ce quartier innovateur sur le plan de l’urbanisme au Québec. Un quartier qui deviendra emblématique pour la Ville de Dorion. Un endroit où les familles sont venues se blottir à proximité de tout ce qui leur était nécessaire pour l’épanouissement de leurs êtres chers.  
 
Auteur : Michaël Dicaire, archiviste, Centre d’archives de Vaudreuil-Soulanges
Sources principales : Journal La Presqu’île (Centre d’archives de Vaudreuil-Soulanges) et circuitVD (production du Musée régional de Vaudreuil-Soulanges et de la Ville de Vaudreuil-Dorion). 

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