Le verglas de 1998
Centre d'Archives de Vaudreuil-Soulanges
Les Gaulois d’Astérix ont toujours eu peur que le ciel ne leur tombe sur la tête. Les Québécois, en janvier 1998, l’ont littéralement reçu!
Le 5 janvier de cette année-là, une pluie verglaçante et abondante commence à tomber. Le lendemain matin, on voit du givre partout et la pluie continue. Des pannes électriques débutent ici et là. Les écoles ferment et les travailleurs demeurent à la maison. Les routes sont déjà dangereuses !
Le 9 janvier, désolation totale. C’est du jamais vu ! On l’appellera le vendredi noir. La dernière tempête de verglas majeure conservée dans la mémoire collective date de 1942 alors que la population avait été plongée dans le noir pendant trois semaines.
Les branches craquent sous le poids de la glace. Des arbres matures s’écrasent au sol. Il devient dangereux d’être à l’extérieur. Les bruits entendus donnent la chair de poule. Les rues et les cours se recouvrent d’une épaisse couche de glace.
Des pylônes électriques s’écrasent, Montréal n’a plus qu’une seule ligne d’alimentation. Le premier ministre du Québec à ce moment, Lucien Bouchard, accompagné d’André Caillé, président-directeur général (PDG) d’Hydro-Québec, doit garder le cap et rassurer le million de personnes résidant sur l’île de Montréal.
Le 10 janvier, la moitié de la population du Québec connaît une panne générale d’électricité. Le réseau s’effondre. C’est l’apocalypse. Les monteurs de lignes d’Hydro-Québec se mettent au travail en démontrant courage et ingéniosité pour « remonter » le réseau. Certains subiront des blessures. Un monteur dit avoir travaillé 32 jours consécutifs à 16 heures par jour. On leur doit une fière chandelle.
Durant ces jours, c’est la course folle pour trouver des génératrices qui vont permettre de rester dans nos foyers et de garder des commerces essentiels ouverts.
À Les Coteaux, secteur Coteau-Station, une locomotive-génératrice du Canadien National a alimenté près de 80 foyers dont des centres d’hébergement. Nos agriculteurs qui ont besoin d’équipements pour garder leurs animaux vivants reçoivent du matériel de leurs confrères des quatre coins de la province.
Les villes organisent rapidement des refuges municipaux pour les citoyens. Polyvalentes, arénas, salles municipales sont aménagés. On pourra y dormir, manger chaud et boire un café réconfortant grâce aux bénévoles actifs. Près de 12 000 repas seront servis au cours de la semaine du 6 au 11 janvier à la cafétéria du collège de Valleyfield alors que 3 700 personnes y seront hébergées dans les nuits du 9 au 11.
Ce qui a nécessité environ 500 bénévoles pour cette fin de semaine particulière. Les vivres seront acheminés dans la région en provenance du reste du Québec et des provinces voisines. L’hébergement se partage. On voit beaucoup d’entraide entre voisins et amis. Dans les familles, on va prendre une douche chez la grand-mère dans la ville voisine, on amène chez nous nos parents sans ressources, on dort chez « matante », on amuse et rassure les enfants. Chacun y met du sien. Les foyers et les poêles à bois fonctionnent à plein régime. On revient à la cuisson sur feux de bois.
Les congélateurs se vident et les balcons se remplissent de denrées que l’on veut conserver. Toute cette organisation doit se faire dans la prudence. Gare aux feux!
Sans électricité, difficile de savoir ce qui se passe ailleurs que dans notre entourage.
En 1998, on est encore loin des réseaux sociaux. Les journaux, tel Le Saint-François, ne peuvent être imprimés et distribués. Quelques chanceux peuvent coller l’oreille sur un transistor à batteries pour obtenir des nouvelles.
Ici, dans notre région, la durée des pannes varie de quelques jours à des semaines entières dans certains coins de Soulanges. La municipalité de Saint-Zotique, entre autres, sera dans le noir durant 21 jours consécutifs avant de connaître un retour de 24 heures puis une autre panne d’une semaine.
Au 26 janvier, Hydro-Québec évalue qu’il reste quelque 3 600 abonnés sans électricité dans la grande région du Suroît. Le courant sera rétabli à 100 % dans Vaudreuil-Soulanges le 30 janvier 1998 alors que plusieurs foyers attendent toujours le retour de la lumière et de la chaleur dans le comté de Beauharnois-Huntingdon comme à Franklin, Dundee, Saint-Rémi et Napierville.
Vaudreuil-Soulanges, pourtant en Montérégie, est oubliée dans les reportages. On en a que pour le « triangle noir » formé des villes de Granby, Saint-Hyacinthe et Saint-Jean, là où les pylônes et les poteaux électriques sont au sol écrasés, comme un château de cartes.
Dans notre région, on nomme « Rectangle noir » le secteur formé notamment des municipalités de Saint-Zotique, Rivière-Beaudette et Saint-Polycarpe. Des monteurs de ligne provenant de quatre états américains ainsi que de provinces voisines viennent prêter main-forte pour, entre autres, remplacer 60 poteaux tombés à Saint-Clet et Saint-Polycarpe.
On y remarque également la forte présence des Forces armées canadiennes. Toute aide est appréciée ! Une autre zone oubliée est celle de la Municipalité régionale de comté (MRC) du Haut-Saint-Laurent : à peine 50 % de rebranchés au 19 janvier dont à Franklin et Dundee.
Ce mémorable évènement sera l’occasion de démontrer la solidarité, l’entraide et la débrouillardise de notre peuple. Bienveillance envers nos aînés, partage de bouffe, bénévolat dans tous les domaines, soirées animées dans les refuges. Certains y trouveront même l’amour, dit-on. Comme quoi, à quelque chose, malheur est bon.
25 ans ont passé. Ce qui deviendra la « crise du verglas » est et restera un moment de vie inoubliable, un traumatisme et un mauvais souvenir pour des milliers de Québécois.
Auteures : Micheline Merizzi Brault, bénévole et membre du conseil d’administration du Centre d’archives et Julie Bellefeuille, archiviste/directrice du Centre d’archives.