La Guignolée
Centre d'Archives de Vaudreuil-Soulanges
Au cours des dernières semaines ont eu lieu plusieurs collectes de denrées, de biens et d’argent. Ainsi, chaque année, la population peut participer à cette entraide collective. Les dons sont ramassés aux intersections de rues passantes ou bien lors du porte à porte effectué par des bénévoles dévoués. Nous savons que cette activité existe au Québec. Mais est-ce que nous connaissons vraiment cette tradition ?
Bien que l’on ne sache pas très exactement comment a débuté la tradition de la Guignolée, nombre d’historiens, de folkloristes et de conteurs ont statué que cette dernière provient du peuple celte de la France ancienne, c’est-à-dire, les Gaulois.
On raconte que le mot « guignolée » tirerait son origine du mot « gui » faisant référence à la plante parasite poussant sur les branches de chênes et de poiriers, plante que les Gaulois considéraient comme sacrée. Ils organisaient une fête pour marquer la nouvelle année, moment où le druide (prêtre) allait recueillir cette plante avec une faucille d’or.
La légende veut que lorsque le gui tombait, les gens criaient « gui, année nouvelle » qui est plus tard devenue « gui, année » puis « guillannée » pour finalement être compris et dit de la façon actuelle, guignolée. On dit également que les Gaulois passaient à chaque demeure pour demander à chacun d’offrir une minime partie de leurs récoltes dans un butin collectif ensuite distribué aux pauvres.
Cette origine celtique demeure toutefois difficile à confirmer. Très peu d’historiens se sont véritablement penchés sur la question. Toutefois, il est certain que vers la fin du Moyen Âge, la pratique de la guignolée était présente dans plusieurs régions de la France. Ce sont les colons français qui ont apporté cette tradition en Amérique du Nord au tout début de la colonie de la Nouvelle-France.
Traditionnellement, la guignolée avait lieu le 31 décembre, dernière journée de l’année. Elle était organisée par des sociétés pour les moins nantis d’une paroisse, d’une ville ou d’un village. On remettait l’argent récolté au curé pour qu’il redistribue la cagnotte aux moins fortunés. La distribution se faisait autant aux catholiques qu’aux non-catholiques de la paroisse.
Au temps de nos anciens, la guignolée se déroulait de la manière suivante : un groupe qu’on appelait les ‘’guignoleux’’s’assemblait, souvent habillé de leur tuque rouge tenant dans leurs mains un long bas de laine rouge pour récolter les aumônes. Les guignoleux passaient en chantant et avaient parfois même des instruments de musique. Le refrain traditionnel chanté dans tout le Québec allait comme ceci :
‘’Bonjour le maître et la maîtresse et tout le monde de la maison
Pour le dernier jour de l’année
La guignolée vous nous devez
Si vous voulez rien nous donner
Dites-le-nous le on emmènera seulement la fille aînée
On lui fera une bonne chère
On lui fera chauffer les pieds’’
Parfois, la chanson était accompagnée de ces dernières lignes :
‘’On vous demande seulement
Une chignée de vingt à trente pieds de long
Si vous le voulez’’
La chignée réfère à la pièce de viande de choix, souvent un morceau de l’échine du porc avec la queue y tenant donnée à la guignolée.
On n’entrait jamais dans la maison des gens sans que le propriétaire nous y invite cérémonieusement. Parfois, les gens donnaient des collations aux guignoleux qui se devaient de les manger en signe de respect. On récoltait les aumônes que l’on chargeait ensuite dans une voiture (charrettes ou carrioles à l’époque) tout en chantant nos remerciements aux maîtres et maîtresses des maisons.
Vers 1860, la guignolée était devenue très populaire à Montréal. À tel point que le maire de Montréal de l’époque octroyait des permis pour courir la guignolée dans le but d’éviter le chaos. Cela n’empêchait toutefois pas les désordres lorsque deux bandes de guignoleux se croisaient sur les chemins. S’ensuivaient parfois des escarmouches et des batailles. On dit même que les vainqueurs grossissaient leurs trésors du butin des vaincus.
Également à cette époque, c’était souvent la haute classe qui organisait les guignolées à Montréal. Les médecins, les notaires et les conseillers de la ville mettaient la main à la pâte.
Cette tradition a subi de nombreuses phases de popularité et de déclin au fil des années au Québec. Elle était tantôt organisée un peu partout dans la province, alors qu’à d’autres moments, seule une poignée d’endroits l’effectuait.
Au tournant des années 1980, durant les années 1990 et au début 2000, cette tradition était solidement adoptée dans la région de Vaudreuil-Soulanges. Nombre incalculable de bénévoles passaient dans les rues de nos villes et villages pour récolter les aumônes destinées à nos citoyens qui en avaient grand besoin. Les bénévoles remplissaient leurs voitures et puis, parfois, un camion passait pour les libérer de toute cette cargaison et la valse continuait ainsi.
À la fin de la récolte, les gens se réunissaient dans un sous-sol d’église ou une salle communautaire pour déguster un bon repas préparé par de douées cuisinières bénévoles. Les repas se composaient le plus souvent de délicieuses soupes, sandwichs, fèves au lard (les fameuses bines !) et autres.
La tradition persiste toujours dans quelques municipalités bien que sa popularité souffre d’un déclin certain depuis plusieurs années. Souhaitons maintenant que cette dernière subisse à nouveau un regain de popularité, car c’est un héritage ancestral qui est nécessaire de conserver, pour aider nos gens dans le besoin.
Auteur : Michaël Dicaire, archiviste et responsable des archives et collections