Des origines autochtones à la mission sulpicienne
Une île oubliée, un pont bien connu : retour sur l’histoire de l’Île-aux-Tourtes
Le pont de l'Île-aux-Tourtes est bien connu pour ses perpétuels travaux de réparation et sa congestion quasi constante, mais peu de gens savent l'origine de son nom ou encore l'histoire de cette Île-aux-Tourtes.
L’appellation « Île-aux-Tourtes » fait référence à un oiseau aujourd’hui disparu : la tourte voyageuse. Cette espèce de pigeon sauvage abondait autrefois dans la région. On raconte même que ces oiseaux étaient si nombreux qu’il suffisait d’un bâton pour les capturer. Leur disparition, survenue au tournant du XXe siècle, rend le toponyme encore plus précieux, d’autant plus que peu d’endroits au Québec en portent la trace.
Située dans la baie de Vaudreuil, à l’ouest de l’île de Montréal, l’Île-aux-Tourtes s’étend sur 1,1 kilomètre de long et 700 mètres de large. Aujourd’hui inhabitée, elle a pourtant joué un rôle important à différentes époques de l’histoire.
Des origines autochtones à la mission sulpicienne
Dès la préhistoire, l’île est fréquentée par différents groupes autochtones, notamment durant les périodes de l’Archaïque laurentien (6000 à 3500 ans avant aujourd’hui) et du Sylvicole. Des découvertes archéologiques laissent croire que le site a servi de lieu de sépulture à cette époque, comme en témoignent des ossements blanchis retrouvés dans une fosse recouverte de pierres plates, un rituel funéraire associé au Sylvicole inférieur.
Vers 1690, grâce à la générosité du marquis de Vaudreuil, l’île est cédée aux Nipissings, en particulier les Loups, qui l’appellent Aounagassing, soit « la gardienne », du fait de sa position clé sur le trajet emprunté par les canots entre le lac Saint-Louis et le lac des Deux Montagnes.
Au tournant du XVIIIe siècle, l’île devient un lieu actif de traite des fourrures. En 1702, Philippe de Rigaud de Vaudreuil obtient la seigneurie, qu’il loue dès l’année suivante pour exploiter la chasse, la pêche et le commerce.
Face à la controverse soulevée par ce bail, Vaudreuil invite en 1704 le sulpicien René-Charles de Breslay à y établir une mission. Les premiers baptêmes d’Autochtones, principalement des Népissingues, sont recensés dès 1705.
Au fil des ans, plusieurs bâtiments sont érigés : une chapelle, un presbytère, une église en pierre, un fort et diverses structures militaires. Toutefois, la mission perd graduellement son importance stratégique et est déplacée à Oka en 1721.
Une île à l’histoire enfouie
Après l’abandon progressif de la mission, l’île entre dans une longue période d’oubli. Bien qu’elle change de mains à plusieurs reprises, aucun des propriétaires ne s’y installe de manière durable. Les bâtiments tombent en ruine ou sont détruits, à l’exception de quelques vestiges visibles jusqu’au milieu du XIXe siècle.
À partir de 1891, plusieurs chalets sont construits sur la pointe est. Un aqueduc en bois est installé en 1913. Puis, en 1958, un gazoduc traverse l’île. L’arrivée du pont de l’Île-aux-Tourtes et le prolongement de l’autoroute 40, amorcés en 1961, bouleversent à leur tour le paysage et endommagent plusieurs couches archéologiques dans la partie sud de l’île.
Un site patrimonial reconnu
C’est dans les années 1990 qu’un mouvement visant à protéger et mettre en valeur l’Île-aux-Tourtes prend forme. La Ville de Vaudreuil-Dorion devient propriétaire de l’île en 1992. Plusieurs campagnes de fouilles sont alors menées, révélant l’importance historique et archéologique du site.
Les archéologues y découvrent notamment des tessons de céramique, des outils en pierre, des vestiges de bâtiments religieux, des sépultures autochtones, et des traces d’un village fortifié. Ces éléments confirment la richesse patrimoniale du lieu, lié à la fois à la présence autochtone, à la traite des fourrures, à l’évangélisation et à la défense militaire en Nouvelle-France.
En 2015, le site archéologique de l’Île-aux-Tourtes est officiellement classé. Les 358 objets les plus significatifs mis au jour sont également protégés.