Une bataille qui commence dès l'enfance
« Je croyais tout contrôler, mais je ne contrôlais rien » : Nadine Blanchette se confie sur ses troubles alimentaires
En cette Semaine de sensibilisation aux troubles alimentaires, Nadine Blanchette, résidente de Vaudreuil-Dorion, a accepté de partager son histoire avec Néomédia.
Balançant entre l'anorexie, la boulimie et l'accès hyperphagique, Nadine Blanchette, a dû, avec les années, réapprendre à vivre avec son corps. « Je pouvais passer des périodes où je me privais de nourriture. Je pouvais aussi avoir des périodes durant lesquelles je bouffais, bouffais, bouffais, donc j'avais de grosses prises de poids. Durant ces périodes-là, je me disais que j'étais en santé puisque je ne me faisais pas vomir et je ne sautais pas de repas. Et, j’ai eu des moments où je me faisais vomir après avoir mangé à l'infini. C'est ce que l'on appelle l'accès hyperphagique. Ces périodes-là étaient plus rares. Ça se jouait vraiment plus entre anorexie et boulimie », confit-elle.
Au plus bas, Nadine a pesé moins de 90 livres. Au plus haut, sans être enceinte, entre 155 livres et 160 livres. « J'ai fait des dommages internes à mon corps. À force de me faire vomir, j'ai développé des problèmes avec mon oesophage et mon estomac, on a aussi dû m'arracher des dents . »
Une bataille qui commence dès l'enfance
Dès l'école primaire, Nadine a commencé à développer une perception altérée de son corps. « Quand on me disait que j'étais petite, j'aimais ça. J'aimais la mode, être bien habillée, et déjà quelque chose me trottait dans la tête », se souvient-elle.
Influencée par les standards de l'époque et par l'environnement familial, elle grandit avec une relation complexe à la nourriture et à l'image corporelle. « Ma mère était une danseuse professionnelle. Pour elle un corps en santé était un corps «fit». À l'époque, on nous disait que pour avoir un dessert, il fallait finir notre assiette. Ma mère nous donnait un biscuit pour dessert, mais elle nous rappelait que c'était plein de sucre et de gras. Ce n'était pas pour mal faire, c'était simplement ancré en elle. Elle faisait attention à ce qu'elle mangeait. »
L'adolescence et la spirale du trouble alimentaire
Le secondaire marque une période particulièrement difficile. Nadine, cachée derrière des vêtements amples et un long toupet, oscille entre restriction et compulsion. « Je portais des vêtements larges, je ne mangeais pas beaucoup. Quand j'étais bien entourée, ça allait, mais la performance prenait le dessus. » La peur du jugement et le besoin de contrôle deviennent des moteurs silencieux de son combat.
Malgré ses notes exemplaires et ses nombreuses bourses d'études, Nadine vit avec le poids de ses perceptions négatives face à son image. « La performance va jusqu'à interférer avec l'image de soi. Tout venait nourrir mon image. J'arrivais à bien performer, je paraissais bien, mais je demeurais encore celle qui aimait être cachée. J'ai fait du théâtre, mais je m'occupais des décors, je n'étais pas sur scène, car malgré ma recherche d'attention, j'aime être dans l'ombre. Tout est une question de contrôle. Mes réussites venaient beaucoup du regard des autres, c’était selon ce que les autres disaient de moi. Ma personne physique devait aller chercher cette approbation-là.»
Selon Anorexie et boulimie, Québec, 1 personne sur 10, vit avec un trouble alimentaire et les premiers signes peuvent apparaître aussi tôt que l'âge de 7 ans.
Un contrôle illusoire
C'est une fois adulte, que Nadine prend réellement conscience de ses troubles alimentaires. Mais comme à l'adolescence, c'est l'idée d'avoir le contrôle sur son corps qui l'habite et l'anime.
« À 23-24 ans, j'étais assise à la cafétéria de mon travail et un collègue m'a regardé en me disant "Tu manges juste ça?" Je mangeais un yogourt et une barre tendre. C'est là que je me suis dit que peut-être je ne mangeais pas assez. Je pense que c'est à ce moment-là que j'ai pris conscience que j'avais un "problème". Je crois même que c'est venu me nourrir encore plus parce que j'en étais consciente et que je le contrôlais. J'avais vraiment l'impression d'être en contrôle. Ma tête me disait que je le contrôlais, mais en réalité, je ne contrôlais rien. »
Pendant près de 10 ans, le cycle insidieux des troubles alimentaires fait partie du quotidien de Nadine Blanchette. Naviguant entre privation et compulsion alimentaire, elle arrive à tromper ses proches.
« Quand j'allais au restaurant, si je savais que j'allais beaucoup manger, inconsciemment j'avais déjà repéré les salles de bain. Même chose si je me trouvais dans un événement avec un buffet et plein de gens. Je me demandais toujours comment j'allais faire pour que les gens pensent que je mange, même si en réalité, je ne mange pas. Heureusement, j'ai un conjoint qui a rapidement été conscient de mon problème. Il a défoncé des portes de toilettes pour m'empêcher de me faire vomir. Quand nous allions au restaurant, il envoyait sa mère me suivre quand j'allais aux toilettes.»
L'impact sur ses enfants et la transmission inconsciente
Aujourd'hui Nadine est mère de deux enfants. Un garçon et une fille. « Les grossesses étaient super, j'avais une bonne raison de manger. (rire) » Parce qu'ironiquement, Nadine Blanchette est une réelle épicurienne.
« J'aime manger, j'adore manger, découvrir des nouvelles saveurs. Enceinte, c'était le bonheur. Je vais toujours me souvenir, une fois j'avais dit à mon copain que j'avais le goût de manger de la tarte aux pacanes. Comme j'étais alité et je ne pouvais pas me déplacer alors il est allé me chercher une pointe de tarte. Je l'ai regardé en lui disant que je voulais de la tarte, pas une pointe. Je me vois encore assise dans mon lit avec l'assiette sur mon ventre à manger la tarte au complet. J'ai pris beaucoup de poids, quand j’étais enceinte. J'ai dû prendre 40 livres à mon garçon et près de 60 à ma fille. »
Chasse le naturel il revient au galop, dès qu'elle avait l'accord du médecin, Nadine reprenait ses habitudes. « Dès que j'avais le OK, je pouvais prendre trois à quatre marches par jours avec la poussette, je faisais, du yoga bébé, des poids et haltères. Je perdais mon poids rapidement. J'allais même sous mon poids santé. Je prenais beaucoup de poids enceinte, mais je m'arrangeais pour tout reperdre rapidement. »
Au fil des années, Nadine prend de plus en plus conscience que son comportement influence ses enfants. « Les enfants n'étaient pas au courant à proprement parler que j'avais un trouble alimentaire, mais en même temps oui. Par mon langage et le regard que j'avais sur moi. J'étais très méchante envers moi même, je me traitais de tous les noms, je disais à quel point j'étais lâche de ne pas avoir été capable de résister à une deuxième part de gâteau. Je me parlais dans le miroir et me pinçais le ventre. J'étais littéralement méchante envers moi même.»
C'est sa fille, alors âgée de quatre ans, qui fait réaliser à Nadine qu'elle doit changer son discours. « Elle était dans sa chambre et je l'entendais parler. Je me suis approché pour écouter ce qu'elle disait, comme toute maman curieuse. Elle se regardait dans le miroir en se tenant la peau de son petit ventre et elle se disait qu'elle était grosse. Les jambes m'ont lâchée. C'est mon fils qui m'a fait remarquer que je me parlais comme ça tout le temps. Ç’a été un gros coup. J'ai réalisé que je devais faire extrêmement attention à mon langage. Aujourd'hui, elle a 14 ans et elle a une super belle relation avec son corps. Est-ce que ça veut dire qu'elle n'aura jamais de problèmes, je ne le sais pas. Je ne suis pas devin. »
Aujourd'hui, ses enfants l'aident à maintenir une relation saine avec son corps et la nourrissent d'un regard bienveillant sur elle-même.
Un tournant décisif
Le point de bascule survient avec l'écriture de son livre, Blandine, l'émancipation du cygne, paru en 2023. « L'écriture du livre a été pour moi une thérapie. Pendant des années, j'ai menti en disant que j'étais suivie alors que je n'ai jamais consulté de ma vie. En écrivant le livre, je me suis demandé comment pouvais-je écrire sur mon expérience sans chercher de l'aide pour m'en sortir? »
Cette réflexion la pousse à consulter une nutritionniste et une coach. Depuis, elle suit un plan alimentaire équilibré et n'a pas connu de rechute. « Aujourd'hui, je mange cinq repas par jour, je ne ressens plus le besoin de me faire vomir ou de sauter des repas. J'avoue que j'ai paniqué quand elle m'a donné mon premier menu et m'a dit tout ce que je devais manger.»
Le mannequinat, un outil de réconciliation
La photographie et le mannequinat ont joué un rôle clé dans son cheminement. « Me voir à travers la lentille de mon amie photographe m'a aidée à me trouver belle. » Impliquée dans la promotion de la diversité corporelle, elle lutte contre les standards rigides de l'industrie de la mode. Récemment, elle a participé à plusieurs productions américaines, dont le prochain Karaté Kid. « Je ne sais pas si je vais être coupé au montage, mais c'est quand même le fun de participer à ce genre de projet. »
Aujourd'hui, Nadine Blanchette partage son expérience pour sensibiliser et encourager ceux qui souffrent en silence. Son conseil aux parents : « Soyez attentifs aux habitudes alimentaires de vos enfants, aux changements subtils de comportement. »
Aux jeunes, elle rappelle qu'ils ne sont pas seuls : « Parlez-en à quelqu'un. Il y a toujours une main tendue. Ne faites pas ce que moi j’ai fait. Chaque fois que l'on m'a tendu la main, et on me l'a tendue souvent, j'aurais dû la prendre.»
Son parcours, marqué par la résilience et la reconstruction, témoigne qu'il est possible de s'en sortir et de se réconcilier avec soi-même.
Des ressources pour vous aider ou aider un proche
Programme des troubles de l’alimentation de l’hôpital Douglas
Pour partager votre opinion vous devez être connecté.