La plus haute instance au pays a tranché en ce sens à l’unanimité
La Cour suprême confirme les interdits de publication avant la constitution de jurys
Par La Presse Canadienne
Les médias n’ont pas le droit de publier des éléments liés à un procès qui sont dévoilés devant le tribunal avant que ne soit constitué le jury.
La Cour suprême a tranché en ce sens à l’unanimité, vendredi, dans deux dossiers portant sur des ordonnances de non-publication émises l’une au Québec dans le dossier du tueur à gages Frédérick Silva, l’autre dans le dossier d’Aydan Coban, reconnu coupable d’avoir mené une campagne de harcèlement et d’extorsion en ligne contre Amanda Todd, une adolescente qui s’était suicidée en 2012.
Dans ces deux dossiers, plusieurs médias cherchaient à publier des éléments liés aux causes et discutés avant que ne soit formé le jury, mais la Cour avait émis des ordonnances de non-publication.
Débats hors jury
L’article 648.1 du Code criminel interdit automatiquement la publication d’informations lorsqu’un juge demande au jury de se retirer afin de discuter avec les procureurs de certaines questions liées à la cause. Par exemple, si la Cour doit décider de l’admissibilité d’un élément de preuve, le juge demande au jury de se retirer et les parties en débattent. Dans le cas où il refuse d’admettre l’élément de preuve en question, les jurés n’auront aucune connaissance de l’élément de preuve en question et les médias, même s’ils ont assisté au débat, ne pourront le rapporter afin de ne pas contaminer le jury.
La prétention des médias, qui cherchaient à rapporter des requêtes présentées avant le choix des jurés dans les deux dossiers en question, était que cet article ne s’applique pas avant que ne soit formé le jury, mais le plus haut tribunal a tranché qu’au contraire, l’esprit de la loi veut que l’on évite de contaminer un jury, qu’il ait été formé ou non.
Bien que la décision soit théorique, puisque les deux causes sont réglées et que les médias ont pu rapporter tous les éléments après leur conclusion, la Cour suprême est venue mettre un terme au flou entourant cette question alors que les tribunaux canadiens ont rendu des décisions contradictoires sur cette question dans le passé.
L'intention du législateur
La décision, écrite par le juge en chef Richard Wagner, fait valoir qu’«il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global» en suivant «l’objet de la loi et l’intention du législateur». Il souligne que les juges peuvent effectivement décider de diverses questions qui sont réputées faire partie du procès et que «ces questions sont clairement décidées en l’absence du jury et, en tant que telles, sont automatiquement visées par le par. (l’article) 648(1).»
Il rappelle que l’adoption de cet article par le législateur, en 1972, visait à protéger «l’intérêt fondamental de l’accusé d’être jugé par des jurés qui ne sont pas exposés aux décisions rendues sur des questions décidées en leur absence, ni influencés par ces décisions.»
Cette disposition, poursuit le juge, vise également l’efficacité du processus judiciaire du fait «d’instaurer une interdiction de publication automatique, qui s’applique par le simple effet de la loi et, de ce fait, ne requiert pas l’intervention d’un tribunal.»
Éviter de contaminer le jury
L’objectif de cette disposition «était d’empêcher que le jury ne prenne connaissance de renseignements concernant toute phase du procès se déroulant en son absence, de manière à ce que son verdict soit basé uniquement sur la preuve jugée admissible par le tribunal».
«Cet objectif, tranche le juge Wagner, est pertinent tant à l’égard des jurys existants que des jurys éventuels, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas encore été constitués»
Pour la Cour suprême, «tous les indicateurs du sens de la disposition législative — le texte, le contexte et l’objet — n’admettent qu’une seule interprétation du par. 648(1) : il s’applique non seulement après que le jury est constitué, mais également avant sa constitution».
Il rappelle qu’en 1972, «il était interdit de publier des renseignements entendus lors d’un procès alors que le jury était absent. Les règles de droit prohibant la publication de tels renseignements n’ont pas changé maintenant que ces audiences ont également lieu avant que le jury ne soit constitué (…) Une loi ne devrait pas être interprétée de façon à modifier substantiellement le droit».
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
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