Mordu de savoir
Dans les coulisses d’un passionné de requins
Thomas Leszkiewicz est passionné par l’océan depuis sa tendre enfance. Après avoir fait plusieurs expéditions à travers le monde et cofondé un organisme pour la conservation marine, l’homme de 33 ans originaire de Pincourt est désormais à la tête de l’Observatoire des requins du Saint-Laurent (ORS).
C’est à l’âge de 11 ans, lors d’un voyage familial en Caroline du Sud aux États-Unis, que Thomas a commencé à s’intéresser aux requins. C’était le « summer of the shark », comme annoncé par le Time magazine. « Il y en avait plein », se rappelle-t-il.
Un requin-bulldog, se promenant paisiblement près des gens, a à ce moment suscité son intérêt. Il ne comprenait pas pourquoi les baigneurs le craignaient autant.
« Les humains ont toujours aimé avoir peur de quelque chose », ajoute-t-il. Le livre et le classique film Jaws, inspiré des attaques sur les côtes du New Jersey en 1916, auront considérablement miné l’image des requins dans l’opinion publique. Thomas avoue à la rigolade ne jamais avoir vu ce film.
Rendu à l’université Concordia, Thomas était déchiré entre sa passion pour le soccer et pour l’océan. « Après plusieurs blessures, dont une que j’ai dû avoir une opération au genou assez grave, je me suis dit que j’allais poursuivre avec les requins. Ça va être mieux pour ma santé, c’est moins dangereux », convient-il.
Premières expéditions
À la fin de son baccalauréat en biologie, Thomas réalise un stage en Afrique du Sud afin d’observer le requin blanc et fait du volontariat aux îles Galapagos dans le Pacifique en 2012. En revenant de ces voyages, il avoue avoir été un peu perdu en travaillant entre autres dans la restauration.
Il trouve un emploi comme représentant de vente à la compagnie Sherwood scuba à Pointe-Claire, qui vend du matériel de plongée. C’est alors qu’il eut l’idée de jumeler son travail à sa passion.
Thomas réussit à convaincre ses patrons que l’entreprise devait s’impliquer davantage dans l’observation et la conservation des animaux aquatiques. « Je leur ai dit que le monde plonge parce qu’il veut voir des tortues, des dauphins, des requins, des baleines. S’il n’y a pas ça, personne ne va plonger. C’est important de redonner à la nature, le monde ne plonge pas pour voir des pneus », explique-t-il.
C’est donc avec un petit budget au départ, et qui s’est ensuite considérablement élargi, que ce dernier cofonde avec l’entreprise le Sherwood scuba marine conservation afin d’aider différentes organisations à but non lucratives et scientifiques, notamment avec des dons d’équipement. « On ne voulait pas que ce soit seulement des dons, mais aussi de s’impliquer dans la science », précise-t-il.
Son rêve se concrétise lors d’une première expédition à l’île Clipperton dans le Pacifique où il rejoint le très respecté Mauricio Hoyos, chercheur très engagé auprès de la sauvegarde des espèces aquatiques, dont les requins, auquel il s’est lié d’amitié. Le Dr Hoyos est devenu l’un de ses mentors.
Venant d’une famille polonaise, Thomas Leszkiewicz avoue que le fait qu’il parlait quatre langues, soit le polonais, l’anglais, le français et l’espagnol, aient pu jouer en sa faveur.
Les requins au Québec
La province compte pas moins de sept espèces de requins sur son territoire. Majoritairement concentrées dans le golf du Saint-Laurent, seules deux y résident et ne migrent pas ailleurs.
L’une, qui est la plus documentée à ce jour, soit le requin du Groenland, vit en moyenne 350 ans, mais pourrait atteindre l’âge de 500 ans. Celui-ci reste surtout dans les profondeurs.
C’est par l’entremise d’une émission de Radio-Canada en 2017, avec le plongeur et photographe sous-marin Mario Cyr, que Thomas a pu rencontrer Jeffrey Gallant qui y participait également. Ce dernier étudie le requin du Groenland depuis plus d’une vingtaine d'années et s’intéresse aussi aux autres espèces. « On est vite devenus amis. On a commencé à travailler ensemble. Jeffrey, c’est une légende », témoigne-t-il.
M. Gallant, qui est le fondateur du Greenland Shark and Elasmobranch Education and Research Group (GEERG), a invité Thomas quelque temps après à se joindre à la nouvelle branche de l’organisme, l’Observatoire des requins du Saint-Laurent (ORS), qui s’intéresse aux sept espèces présentes au Québec. Il y devient directeur durant l’été 2019.
Le but de l’organisation est d’étendre les connaissances sur les requins d’ici. « Je ne veux pas dénigrer ce qui a été fait, mais on en sait encore peu comparativement à ceux observés au Mexique par exemple. Il y a encore beaucoup à découvrir au Québec », indique-t-il.
Très peu de choses sont connues sur les requins au Québec, malgré les travaux d’importance de Jeffrey Gallant et les autres experts. On peut donner en exemple le requin-pèlerin qui est le deuxième plus gros poisson au monde après le requin-baleine et qui passe par la baie des Chaleurs.
L’envie de replonger
Avec la pandémie, Thomas a dû annuler une bonne partie de ses voyages. Il a depuis continué à travailler, notamment sur un article sur les requins albinos. Avec une dernière plongée en octobre 2019, celui-ci mord d’envie d’y retourner.
« Il n’y en a pas ici malheureusement, sinon je serais dans l’eau chaque jour », confie-t-il. Thomas est toujours resté dans la région: « Le monde est maintenant petit, tu peux voyager facilement et Vaudreuil c’est à 20 minutes de l’aéroport ».
Il se réjouit toutefois des multiples projets en cours avec l’ORS qui ne peut dévoiler pour l’instant. L’organisation a d’ailleurs récemment acquis son deuxième bateau. Le nerf de la guerre est en revanche dans la recherche de financement. « C’est 95% du temps chercher des fonds, et 5% être dans l’eau, mais quand tu es passionné, ça ne te dérange pas », soutient-il.
L’ORS planifie plusieurs expéditions, dont une pour le mois d’octobre prochain, mais n’est pas certain de pouvoir y aller pour cette raison.
Mission de conservation et de sensibilisation
Autant à travers Sherwood scuba marine conservation que l’ORS, Thomas souhaite ardemment protéger la faune aquatique, et surtout les requins puisque très peu s’y intéresse.
Des cas de surpêche ont été observés dans les dernières années, où l’on coupe à certains endroits les ailerons des requins avant de les remettre à l’eau. Ceux-ci finissent par mourir.
Il est important d’ajouter que les requins atteignent la maturité sexuelle assez tard, soit autour de l’âge de 20 à 25 ans. Cela diffère néanmoins entre les espèces. Par exemple, le fameux requin du Groenland l’aurait vers l’âge de 150 ans.
La clé de la conservation vient donc surtout de la sensibilisation auprès des groupes et de la population, mais aussi de la documentation. En les balisant, on peut connaître leur trajectoire et ainsi protéger les territoires qu’ils fréquentent.
Thomas mentionne en exemple le parc national de Cabo Pulmo au Mexique d’une superficie d’environ 70 km carrés. Cet espace, qui n’avait pratiquement plus de poissons il y a 25 ans selon les pêcheurs locaux, a depuis vu une augmentation de plus de 400% de sa biomasse. « Ça donne espoir de pouvoir renverser les choses en si peu de temps », conclut Thomas.
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