Une quarantaine d’années séparent les participants, mais un projet artistique unique les rassemble. Depuis décembre dernier, 24 élèves du programme Arts-Études en théâtre de l’école secondaire de la Cité-des-Jeunes s’attellent à une mission singulière : donner vie aux récits d’aînés à travers une pièce de théâtre.

Guidés par leur enseignante d’arts dramatiques, Sophie Daoust, ainsi que par l’autrice, metteuse en scène et comédienne Annie Ranger, ces jeunes de 12 à 17 ans ont recueilli près d’une cinquantaine de témoignages auprès d’aînés de Vaudreuil-Soulanges. Ces témoignages serviront de fil conducteur à l'écriture de la pièce, qui sera présentée en mai prochain à l'école secondaire des Échos.

Des rencontres marquantes

« Les aînés et les adolescents vivent souvent en parallèle, sans se croiser véritablement, explique Sophie Daoust. Ce sont deux grandes solitudes qui n'ont pas tant la parole sur la place publique. Ce projet vise à briser cette solitude partagée en favorisant un dialogue entre ces deux générations. »

Durant la période des Fêtes, les élèves ont mené leurs premières entrevues avec des aînés de leurs familles. Par la suite, l'enseignante a lancé un appel à tous sur les réseaux sociaux, suivi d'une initiative similaire du Conseil des arts et de la culture de Vaudreuil-Soulanges. C’est ainsi que plus d'une vingtaine de personnes âgées de 62 à 80 ans ont manifesté leur intérêt pour le projet.

Le 16 janvier dernier, une première rencontre entre les élèves et les aînés a eu lieu en classe. Grâce au jeu et à l’improvisation, les barrières sont vite tombées, laissant place à des discussions profondes. La semaine suivante, 21 aînés ont participé à des entrevues d’une durée moyenne d’une heure et demie, où ils ont raconté leur jeunesse, leurs luttes et leurs souvenirs marquants.

« Ce qui m’a frappée, c’est à quel point les élèves étaient investis, curieux et respectueux, souligne Mme Daoust. Certains ont réalisé qu’ils prenaient trop peu de temps pour écouter leurs propres grands-parents. »

Selon l'enseignante, l'exercice a également contribué à déconstruire plusieurs préjugés des deux côtés. « Nos aînés disaient que, finalement, ce n'est pas vrai que les jeunes sont irrespectueux et qu'ils n'ont pas d'intérêt pour l'autre. De leur côté, les jeunes nous confiaient que ce n'est pas vrai que les aînés n’ont rien à faire, rien à dire ou qu'ils ne sont pas intéressants. Il y a eu des échanges vraiment profonds des deux côtés. Sur le plan humain, ce fut un exercice très enrichissant. »

Des thèmes universels et intimes

L’évolution de la condition féminine, l’amour à travers le temps, l’école d’hier et d’aujourd’hui ainsi que le monde du travail, figurent parmi les grandes thématiques qui ont émergé des témoignages.

« Les jeunes ont été touchés par des histoires d’injustice, mais ils ont aussi découvert la joie de vivre des aînés, ajoute Mme Daoust. Ils ont réalisé que tout n’était pas mieux avant, mais que certaines valeurs se sont perdues en chemin, comme le plaisir de se réunir en famille sans que ce soit une corvée.»

Un théâtre vivant et engagé

La pièce se déroulera sous forme de dystopie, donc très contemporain, et le corps et la parole se répondront pour donner vie aux témoignages. À travers plus d'une vingtaine de tableaux, les élèves incarneront ces récits, parfois avec des paroles directes, parfois par le biais de la gestuelle.

« Il ne s’agit pas d’un simple exercice de narration, précise Mme Daoust. Nous voulons que les spectateurs ressentent l’essence des histoires, qu’ils soient plongés dans l’émotion brute de ces récits de vie. Avec l'autorisation des personnes âgées participantes, nous allons également utiliser leurs enregistrements pour donner encore plus de vie à nos scènes. »

Une transmission essentielle

Au-delà de la scène, ce projet témoigne de la volonté des jeunes d’apprendre du passé pour mieux comprendre leur présent. « Ils consomment énormément d’informations, mais il leur manquait une connexion humaine, une véritable transmission, souligne l’enseignante. Ce projet leur a permis de redécouvrir la valeur du dialogue intergénérationnel. »

Les aînés, quant à eux, sont repartis le cœur léger, ravis de constater que la jeunesse actuelle est loin d’être désintéressée. « Actuellement, nous vivons de grands changements dans notre société. Il suffit de regarder ce qui se passe chez nos voisins du Sud. Malheureusement, certains droits reculent, et nos jeunes, surtout nos jeunes filles, s’inquiètent de tout cela. En interviewant les aînés, ils ont compris que certaines batailles menées autrefois par ces mêmes aînés ne sont pas terminées. Plusieurs jeunes m’ont confié vouloir reprendre le flambeau et faire entendre la voix de ces personnes âgées. C’est vraiment touchant », conclut Sophie Daoust.

La pièce sera dévoilée en mai, et une représentation est prévue pour le grand public.