Centre de services scolaire des Trois-Lacs
Francisation aux adultes: des enseignants dénoncent les coupures
Un peu plus d'une cinquantaine de personnes, principalement des enseignants et des étudiants, ont manifesté ce mercredi 20 novembre devant le centre des Belles-Rives à Vaudreuil-Dorion afin de dénoncer les coupures dans les services de francisation aux adultes en milieu scolaire.
« Juste au Centre de services scolaire des Trois-Lacs (CSSTL), ce sont 150 personnes qui, depuis jeudi dernier, n'ont plus accès à leur cours de francisation. Ces étudiants sont dans le néant actuellement. Ils ne savent pas quand, ni où les cours reprendront », expliquait en entrevue Annie-Christine Tardif, vice-présidente à la vie professionnelle au sein de la Fédération autonome de l'enseignement (FAE).
À ces 150 étudiants, des nouveaux arrivants, des gens qui ont besoin de parfaire leur français dans le cadre de leur travail, il importe d'ajouter ceux inscrits sur l'interminable liste d'attente.
D'après les données du ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration (MIFI), le délai d'attente moyen pour obtenir un cours à temps partiel était de près de 81 jours ouvrables pour la période comprise entre le 1er avril et le 30 août 2024.
Au-delà des coupures dans les services, le syndicat dénonce l'insensibilité du gouvernement devant ces étudiants venus au Québec avec la promesse d'avoir les ressources nécessaires pour faciliter leur intégration.
« Les étudiants se sentent abandonnés. Ils ont débuté leur apprentissage du français pour s'intégrer à la culture québécoise, pour s'intégrer sur le marché du travail et du jour au lendemain, on leur enlève leur ressource. Pour eux, c'est non seulement la fin de leur cours, mais c'est aussi la perte d'un réseau. Des liens se sont créés entre les étudiants qui vivent leur intégration dans leur nouvelle culture en même temps. Ces gens veulent s'intégrer et là, on leur dit qu'ils n'auront plus l'aide pour y arriver », se désole Martine Dumas, présidente du Syndicat de l'enseignement des Seigneuries. « Il y a beaucoup d'incompréhension et de frustration », ajoute-t-elle.
Le sentiment est le même au niveau du corps professoral. La moitié des enseignants en francisation du CSSTL, soit près d'une dizaine, se retrouvent maintenant sans emploi ou ne verront pas leur contrat de travail se renouveler. Selon Mme Dumas, seuls ceux ayant des postes permanents ou une tâche à 100% ont été épargnés.
« Je vais vous le dire, les profs sont sous le choc. Quand on leur demande aujourd'hui vers quoi ils font se tourner, ils ne le savent pas. Le choc est trop grand. De ce que nous savons, à l'heure actuelle, le CSSTL n'a pas proposé de rediriger les profs dans d'autres secteurs », a fait valoir la présidente du SES.
« Les professeurs qui enseignent la francisation sont formés en enseignement du français langue seconde. Ils sont pour la plupart titulaires d'un baccalauréat. Ils ont été formés pour enseigner à des adultes et non à des enfants ou à des adolescents. Pour l'instant, on ne peut pas dire s'ils seront réaffectés à d'autres postes. Dans certaines régions, des enseignants de francisation se sont vu offrir des postes en maternelle. Enseigner à des adultes motivés qui veulent apprendre le français et enseigner à des enfants ce n'est pas du tout la même chose. Il y a des professeurs qui ne se sentent pas outillés et qui finalement, décident de faire autre chose de leur vie et quittent la profession » poursuite Mme Tardif.
Pelleter dans la cour des organismes
Les organismes communautaires offrant de la francisation se font rares un peu partout au Québec, et Vaudreuil-Soulanges ne fait exception. Sur le territoire, deux organisations offrent un tel service: le COMQUAT et la Magie des mots.
« De ce que l'on comprend, le ministère veut rediriger les étudiants vers les ressources communautaires qui offrent de la francisation. Mais il faut comprendre que dans les organismes, ce n'est pas du tout la même structure qu'au centre de services scolaire (CSS). Dans un CSS, nous avons des enseignants avec des expertises, une formation. Il y a une structure interne pour faciliter l'intégration, il y a des psychoéducatrices. On ne retrouve pas nécessairement tout ça dans les organismes », explique Mme Dumas.
« Le MIFI tente de rebâtir une structure ailleurs comme dans les cégeps, les universités et les organismes communautaires. Il les appelle pour leur demander de trouver des locaux et des formateurs. Il propose de leur envoyer des listes d'étudiants. Il est en train de bâtir quelque chose, en plein vol, sans avoir de plan, alors que nous avions la structure idéale, et plus est, qui fonctionnait », renchérit Mme Tardif.
Le double discours de Québec
Pour Martine Dumas, il est évident que le gouvernement parle des deux côtés de la bouche dans le dossier de la francisation. D'un côté la CAQ fait de la protection de la langue française et de la culture québécoise l'un de ses chevaux de bataille et de l'autre côté, elle annonce des coupures dans des services qui viennent justement mettre de l'avant ces deux éléments.
« Québec a vraiment un double discours. D'un côté, on nous dit qu'il faut que les immigrants s'intègrent à notre culture et qu'ils apprennent notre langue et de l'autre côté on leur enlève les ressources et les structures nécessaires à cette intégration. Ça ne fait aucun sens », déplore la présidente du SES.
Pas de coupures de budget selon le ministre
En entrevue à Radio-Canada le 24 octobre dernier, le ministre de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration, Jean-François Roberge, a indiqué qu'aucune coupure de budget n'a été faite dans les services de francisation aux adultes en milieu scolaire, considérant que 104 M$ avaient été octroyés au ministère de l'Éducation, expressément pour la francisation, en 2023 et en 2024.
Or, sur le terrain le discours est tout autre.
« On parle beaucoup du budget associé au MIFI. La vérité c'est que les critères selon lesquels les budgets ont été octroyés ont été fixés selon les inscriptions en francisation en 2020-2021, soit une année COVID où les inscriptions étaient beaucoup plus faibles que maintenant. La demande est en constante croissance et les budgets n'ont pas été bonifiés » fait valoir Martine Dumas.
Même constat au niveau de la FAE. « Les règles du jeu ont changé. Avant les CSS avaient un budget en francisation et celui-ci était réparti dans plusieurs enveloppes. Les CSS avaient une certaine marge de manoeuvre. Par exemple, si un programme avait moins bien fonctionné ou qu'il avait eu moins d'inscriptions que prévu, ils pouvaient utiliser les sous pour les mettre dans un autre programme. Mais là, ce n'est plus le cas. C'est la première fois qu'on dit aux CSS voici le nombre d'étudiants que vous pouvez franciser, pas un de plus et s'il vous manque des fonds, vous ne pouvez pas utiliser ce qui est dans les autres enveloppes. Québec a enlevé cette marge de manoeuvre aux CSS. Ce que l'on veut à la FAE c'est de ravoir cette latitude. Ça viendrait assurément régler une partie du problème », de dire Annie-Christine Tardif.
« On ne peut pas penser que d'intégrer des gens à une culture, de faire en sorte que ces gens participent à la vitalité économique et culture du Québec, va se faire à coûts nuls. Il faut financer la francisation aux adultes en milieu scolaire. Il s'est développé au sein des CSS une réelle expertise et là on est en train d'envoyer le message que ce n'est pas le bon véhicule pour l'apprentissage du français », conclut Martine Dumas.
Ce jeudi, le ministre des Finances, Éric Girard, présentera sa mise à jour économique. Que ce soit à la FAE ou au SES, les attentes sont très élevées.
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