Par le Centre d'archives de Vaudreuil-Soulanges
Brève histoire d’une pointe de terre : le coteau des Cèdres
Georges-René Saveuse de Beaujeu, dernier seigneur de Soulanges.
Plan du coteau des Cèdres sous le joug de l’expropriation pour la construction de la centrale hydroélectrique.
Partie du plan de la paroisse des Cèdres présentant le bord du fleuve, les terres ainsi que le coteau. 1879.
Le territoire du coteau au début de la construction de la centrale hydroélectrique. Début du 20e siècle.
Construction de la centrale hydroélectrique des Cèdres. Vers 1910.
Construction de la centrale hydroélectrique des Cèdres. Vers 1910.
Assemblage montrant le coteau où se situait le premier noyau villageois par rapport à la réalité d’aujourd’hui. La centrale hydroélectrique a remplacé la pointe.
Partie d’une carte de Coutlée présentant le coteau des Cèdres où on voit les lots des colons ainsi que la pointe de terre. 1872.
Par Centre d'Archives de Vaudreuil-Soulanges
Avant que le bourg de Les Cèdres s’établisse à l’emplacement actuel que nous connaissons, un premier noyau villageois s’était implanté un peu à l’est le long du fleuve Saint-Laurent, autrefois appelé la rivière Cataracoui.
En 1702, quinze jours avant son mariage, Paul-Jacques de Joybert de Soulanges et de Marson se voit concéder une seigneurie, bien que cette concession ne soit effective que quelques années plus tard seulement. Il lui donne le nom de Soulanges.
Le coteau des Cèdres, sur lequel sont installés la centrale hydroélectrique et le poste Les Cèdres que nous pouvons apercevoir en roulant sur l’autoroute 30, fut historiquement le lieu où les seigneurs de Soulanges avaient établi leur domaine incluant un manoir, des bâtiments de ferme et un moulin. Sur ce domaine, avant 1736, on trouvait une chapelle et un presbytère fréquenté par un missionnaire.
Selon Élie-J. Auclair, auteur du livre L’histoire des Cèdres paru en 1927, le peuplement de la seigneurie s’accroissant et les registres de la paroisse Saint-Joseph de Soulanges ayant été ouverts en février 1752, les habitants décident de construire au même endroit une église en bois plus grande. Elle est abandonnée en 1780 après la construction d’une première église en pierre sur un nouveau site, soit celui où est érigée aujourd’hui une église en pierre consacrée le 13 février 1881.
Retour en arrière
Peu de temps après, en 1703, le seigneur décède. La seigneurie revient à sa jeune épouse enceinte, Marie-Anne Bécart de Granville ainsi qu'à sa fille à naître.
À partir de 1716 et durant les années qui suivent, le développement de la seigneurie est entrepris. Dans l'aveu et dénombrement d'Anne Bécart de Granville, on recense neuf maisons pour 10 familles incluant la maison de la seigneuresse. On suppose qu'elle ne demeure pas dans cette maison et qu'elle laisse le développement dans les mains d'un gérant. Un manoir remplacera la demeure seigneuriale plusieurs années plus tard, vers 1730.
En 1728, Geneviève de Joybert de Soulanges, fille d'Anne Bécart marie Paul-Joseph Le Moyne de Longueuil. Il devient un seigneur sans possession: du fait de son mariage, il prend le nom de seigneur.
Essor immobilier : de 1729 à 1740
À partir de 1729, une vingtaine de terres sont concédées. Parmi les nombreux censitaires des années 1730, on compte Louis Lalonde, Jean-Baptiste Martin dit St-Jean, François Bissonnette et le farinier Jacques Souchereau dit Langoumois, tous inhumés sous le coteau des Cèdres. C'est aussi durant ces années qu'est érigée la chapelle dans laquelle les baptêmes, les mariages et les funérailles sont célébrés.
En 1732, les documents font état de la construction d’un moulin à eau pour moudre le blé, desservant aussi les censitaires de Vaudreuil, sur le coteau. Cette pointe de terre est donc un site stratégique pour l'établissement d'un moulin.
Les recensements de 1732 et de 1739 indiquent un essor certain du domaine seigneurial. De plus, les immeubles religieux et utilitaires érigés et occupés montrent bien que la vie est bien implantée sur cette pointe. Aux environs de 1745, un fortin en pieux y est construit. Son emplacement est difficile à délimiter puisqu’il n’existe pas de carte donnant sa position exacte.
Des témoignages datant du milieu du 18 e siècle tels que ceux de Anne-Joseph-Hippolyte de Maurès de Malartic, du célèbre navigateur et découvreur Louis-Antoine de Bougainville, Pierre Pouchot, un militaire hautement renommé et de Jean-Guillaume Plantavit de Lapause de Margon nous renseignent sur l’emplacement du fort de Soulanges en mentionnant entre autres que
l’endroit où est située l’église des Cèdres est très favorable pour un poste fortifié à la tête de ces rapides. Le terrain y forme une fortification naturelle. Il s’y trouve beaucoup de terre aisée à
remuer.
Ou encore que le 27, nous en partimes et fumes au portage du moulin [du coteau des Cèdres] ou l’on déchargea les bateaux, et des charrettes portèrent les effets à près d’une lieue de là au bout de la paroisse à 4 à 5 maisons près et les bateaux montèrent à vide; nous couchames là chez l’aumônier.
Toutefois, ces témoignages viennent infirmer des renseignements fournis par Élie-J. Auclair et l’ingénieur Coutlée sur l’emplacement du fort, lequel devait probablement être situé non loin du manoir du seigneur et non loin de l’église du coteau des Cèdres où le seigneur projette d’établir un bourg.
Quoiqu’il en soit, l’idée à retenir, c’est que l’établissement du bourg venait concrétiser les efforts de Paul-Joseph de Longueuil pour développer sa seigneurie en favorisant, près de son domaine, l’établissement d’un village incluant une église et un moulin à farine : un bourg attirant pour des artisans, des ouvriers spécialisés et des commerçants.
En fait, dans l’inventaire des biens du seigneur de 1751, il y est mentionné qu'en plus du manoir, on trouve sur le domaine seigneurial, une boulangerie, une laiterie, une bergerie, un poulailler, une écurie, une étable et une grange.
En 1752, on assiste à l'ouverture des registres paroissiaux. En 1754, un terrain est donné pour l’érection d'une église. Sa construction est dirigée par François Miville. L’abbé Auclair mentionne qu’il y aura 45 bancs qui seront rapidement occupés par les habitants.
Période d’incertitudes
Au cours de la période de 1755 à 1780, le seigneur et les habitants de la région des Cèdres connaissent leur lot de problèmes. Quelques obstacles tels que la guerre de Sept Ans freinent grandement le développement du bourg. Pourtant, le seigneur avait obtenu du gouverneur l'autorisation d'aller de l'avant avec l'établissement d'un ensemble villageois quadrillé de rues, et ce dès 1754.
Le recensement effectué par Murray au lendemain de la conquête de la Nouvelle-France en 1760 et datant de 1765 nous apprend qu'il y a 55 maisons aux Cèdres. Avec le retour du maître des lieux, celui-ci s’étant exilé en 1760, et l'engagement d'un contremaître pour assurer la gestion de la seigneurie de Soulanges, le développement du bourg reprend. Le premier curé résidant, le curé Deneault, arrive au même moment.
Durant les années 1770, on assiste à une deuxième tentative de développement d'un village nommé Soulanges, encore une fois sur le coteau. On y trouve quelques rues formant un simple quadrillé.
En 1775, la population augmentant toujours, les habitants de Soulanges veulent obtenir une nouvelle église et un presbytère de pierre. Ils doivent toutefois attendre un peu. Mais durant l’attente, en 1780, l'église de bois est détruite par le feu. La construction d'une nouvelle église cette fois en pierre devient donc une priorité. Mais où sera localisé le nouveau lieu de culte?
Relocalisation : un nouveau noyau villageois
La construction de la nouvelle église et d'un presbytère en pierre débute en 1780. Le choix du lieu se porte non plus sur le domaine du seigneur au lieu-dit de la pointe du moulin, mais plus à l'ouest, à l'emplacement de l'église actuelle autour de laquelle se bâtira le nouveau noyau villageois. Mais alors qu’advient-il de la vieille église de 1754 et des autres bâtiments, du vieux presbytère et du cimetière du coteau des Cèdres ? Sans doute a-t-on récupéré des matériaux encore utilisables.
Le terrain cédé autrefois pour la construction de l’église retourne aux anciens propriétaires, soient les seigneurs et leurs héritiers. Ils retrouvent leur droit de possession selon une clause du contrat de donation de 1754. Le terrain est donc assurément retombé dans le patrimoine de Joseph Le Moyne de Longueuil. La nature a repris ses droits. La terre a par la suite été cultivée.
Les auteurs de Les sépultures du coteau des Cèdres, 1750-1780 évoquent le fait qu’il n’existerait pas de document relatif à la reprise du terrain de l’église de 1754 par le seigneur de Soulanges. D’ailleurs Moïse Mainville et Élie-J. Auclair ayant consulté les archives de la paroisse, demeurent muets sur ce sujet. Pour eux, il n’y a eu qu’une première chapelle dès 1728 et une seconde en 1780; ils semblent ne pas connaître celle de 1754.
En 1807, le seigneur Joseph-Dominique-Emmanuel décède sans descendance. Par testament, il lègue les terres seigneuriales à son neveu Jacques-Philippe Saveuse de Beaujeu. Toutefois, le domaine seigneurial n'est plus ce qu'il était.
Déjà dans l'inventaire des biens du seigneur décédé, aucune mention n'est faite d'un immeuble religieux ni de ruines sur le coteau. Pourtant le cimetière est toujours existant. Selon les sources, plus de 530 enfants de moins de 18 ans et plus de 120 adultes ont été enterrés dans ce cimetière de la pointe durant toutes ces années.
En 1819, une partie du domaine du coteau des Cèdres est vendu à John Ogilvy. L'année suivante, une autre section, celle-ci au nord du chemin du Roy, est cédée à Luc Courville. En 1831, la famille de Beaujeu s'installe à Coteau-du-Lac délaissant ainsi le coteau des Cèdres. La population augmente et en 1833, le seigneur, Georges-René Saveuse de Beaujeu fait agrandir le moulin du coteau.
Un vent de changements…
L'année 1854 annonce la fin du régime seigneurial. Le seigneur fait partie des mécontents et mène quelques actions contre cette loi. Malgré tout, il doit arriver à l'évidence même: le système seigneurial, désuet, est aboli.
Dans le papier-terrier de la paroisse de Saint-Joseph de Soulanges préparé sous ses soins entre 1854 et 1857, Georges-René décrit ainsi le coteau des Cèdres :
La pointe de cette terre connue sous le nom la pointe du Coteau des Cèdres ou pointe du Moulin, tenant par devant et du côté du sud-est au fleuve St-Laurent, par derrière au front de la terre No 30 au-dessus des Cascades et au front des quatre terres qui forment le lot No 31…
Après la mort de Georges-René en 1865, ses successeurs procèdent en 1872 au partage de ses biens en six lots. Le premier lot, qui inclut le coteau des Cèdres, échoit à Adélaïde-Catherine Aubert de Gaspé, sa veuve. Dans ce document notarié, aucune mention n’est faite d’un manoir et de ses dépendances. Adélaïde conserve des parts dans le moulin, mais elle est la seule à hériter du pouvoir d’eau.
Ainsi les revenus continuent à entrer. Elle vend la majeure partie du terrain à François Clément en 1879 et ne conserve qu’une parcelle autour du moulin et le chemin de 24 pieds (7,3 mètres) de large qui y conduit. Une description complète peut être lue dans la publication intitulée Les sépultures du coteau des Cèdres, 1750-1780 disponible au centre d’archives.
Le passage au 20e siècle marque une ère de construction industrielle. Dans cette lancée, le coteau des cèdres accueillera quelques entreprises principalement dans le domaine de l’énergie. La centrale Les Cèdres, construite au début du 20e siècle et toujours fonctionnelle en 2025, est le dernier bâtiment à avoir été implanté sur cette terre modifiant le paysage à jamais. Entre 1905 et 1912, plusieurs transactions immobilières passées devant notaire vont conduire à l’acquisition du coteau des Cèdres par la Cedars Rapids Manufacturing & Power Company.
En 1912, à la suite des travaux d'excavation par cette entreprise, une partie du coteau est bouleversée et disparaît du paysage autant par les coups de pelles que par immersion tandis que l'autre section demeure intacte. Au début des travaux, il ne restait aucun bâtiment sur la pointe, sinon les ruines d'un moulin.
L'église de 1754 ainsi que son cimetière sont depuis longtemps tombés dans l'oubli. Aucune mention ou inscription au sujet d'une exhumation des corps n'est mentionnée dans les documents.
À cette époque de construction, un village temporaire est installé et divers bâtiments liés à la construction de la centrale sont érigés. On remarque notamment, une échoppe de charpentier, un hôpital, une étable, un club house et une échoppe de forgeron. Ils seront démantelés à la fin des travaux. La lecture de cartes et de photographies aériennes de cette époque nous montre bien l’existence de ces deux pôles importants aux Cèdres: le nouveau village et le secteur se situant autour du coteau des Cèdres (noyau temporaire).
Quelques années après la construction de la centrale hydroélectrique, le village temporaire sera démantelé. Les Cèdres n’aura plus qu’un noyau villageois s’articulant autour de l’église de pierres et qui prendra de l’expansion pour devenir la municipalité que nous connaissons aujourd’hui.
Ainsi se termine la brève histoire du premier noyau villageois situé au coteau des Cèdres. Pour en apprendre davantage, vous pouvez lire la publication Les sépultures du coteau des Cèdres, 1750-1780.
Auteure : Julie Bellefeuille, archiviste/directrice du Centre d’archives de Vaudreuil-Soulanges
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