Ils déplorent la lourdeur et le court délai pour sa mise en place
Le congé de taxes rend les commerçants mécontents
Si le congé fiscal mis en place par le gouvernement fédéral qui est entré en vigueur en ce samedi 14 décembre fait le bonheur des consommateurs, il sème plutôt le mécontentement chez les commerçants touchés. Néomédia a pu s'entretenir avec deux propriétaires de boutiques situées sur le territoire de Vaudreuil-Dorion.
Pour Lucie Bourbonnais, qui opère La Ribouldingue, magasin de jeux et de jouets, depuis plusieurs années, la mesure annoncée par le gouvernement de Justin Trudeau n'est pas une bonne idée, du moins pas en ce moment.
« Personne ne peut être contre le fait d'alléger le fardeau fiscal des contribuables, mais pour moi la méthode et le délai donné aux commerçants pour s'y préparer sont totalement irréalistes. Plus je lisais les détails du projet de loi, plus je me disais que ce n'était pas sérieux. Je croyais que c'était un poisson d'avril en avance. Je ne peux pas concevoir que personne autour de la table du gouvernement n'a dit que cette mesure est insensée. À mon avis, les élus auraient au moins dû consulter les commerçants touchés par cette mesure pour savoir quel était le meilleur moment pour le faire et dans quel délai», précise-t-elle au bout du fil.
Rappelons que le congé fiscal a été mis en place par le gouvernement Trudeau pour répondre à l'inflation et aux taux d'intérêt qui ont connu des hausses marquées dans les derniers mois. Le congé de taxes s'applique seulement sur certains produits jusqu'au 15 février prochain.
Pour rappel, la nouvelle mesure financière s'applique aux produits suivants :
- les aliments préparés, tels que les plateaux de légumes, les salades et les repas préparés, et les sandwichs;
- les repas au restaurant, qu’ils soient en salle à manger, à emporter ou à livrer;
- les collations, y compris les croustilles, les bonbons et les barres tendres;
- la bière, le vin et le cidre;
- les boissons alcoolisées préparées qui contiennent moins de 7 % d’alcool;
- les vêtements et chaussures pour enfants, les sièges de voiture et les couches;
- les jeux pour enfants, tels que les jeux de société, les poupées et les consoles de jeux vidéo;
- les livres, les journaux imprimés et les casse-têtes pour tous les âges;
- les sapins de Noël et les arbres décoratifs semblables.
« Nous sommes assez touchés par cette mesure financière, car elle s'applique aux jeux pour enfants et aux jeux de société de même qu'aux poupées. Il y a plusieurs spécificités dans notre domaine. Par exemple, le congé de taxes s'applique aux jeux de société conçus pour les enfants de moins de 14 ans. Seulement en magasin, on en compte 5 000. Il a fallu, dans les derniers jours, les trier pour savoir lesquels seront exempts de taxes et lesquels ne le seront pas. En magasin, j'ai 20 000 produits. Il faut aussi penser au site web. C'est beaucoup de gestion, surtout que la mesure ne dure que deux mois. Ça a été un travail colossal qui était impossible à faire correctement dans le temps alloué par le gouvernement», témoigne-t-elle.
Même son de cloche du côté de Valérie Desjardins, propriétaire de la Boutique L'effet Bulles. « Nous n’avons pas eu la chance de nous préparer avant l'entrée en vigueur du congé, car c’est notre plus grosse saison de l’année. Nous avons trois employés et avons énormément de cadeaux corporatifs en plus de la clientèle qui vient faire ces cadeaux ».
Pour bien imager la situation, Mme Bourbonnais estime qu'elle aurait dû engager un employé à 40h par semaine pour faire le tri des produits soumis, ou non, au congé fiscal. « Je n'ai pas le personnel pour ça, encore moins à cette période de l'année. Nous sommes débordés, alors je l'ai fait moi-même, mais je suis certaine qu'on va en échapper.»
Pour sa part, Valérie Desjardins et son équipe ont pris la décision d'engager des ressources supplémentaires pour arriver à tout trier les articles qui seront exempts de la TPS, mais également pour reconfigurer le système informatique de la boutique.
« Au départ, pour respecter notre budget, nous avions décidé de ne pas engager de personnes spécifiquement pour cela, puisque nous avons déjà besoin de plus de personnel en boutique pour la période des Fêtes. Je croyais être en mesure de tout le faire moi-même, mais j'ai bien du me rendre à l'évidence que ce ne sera pas possible. J'ai donc deux nouvelles personnes pour m'aider, dont mon mari qui travaille dans le domaine informatique. J'ai bien beau connaître le système, ça reste intense. »
En ce jour où le congé de TPS entre en vigueur, Mme Desjardins a admis avoir eu quelques soucis parce que la liste des produits exempts de TPS a été mise à jour. Des produits qui y figuraient ont été enlevés depuis, ce qui l'a forcé à recommencer le tri des produits.
Mme Bourbonnais précise avoir contacté, dans les derniers jours, le bureau du député fédéral de Vaudreuil-Soulanges, Peter Schiefke pour obtenir des précisions sur certaines zones grises. Sa demande est restée vaine à ce jour.
« Je voulais notamment savoir si les commerces touchés obtiendront des compensations financières pour pallier aux coûts de mise en place de cette nouvelle mesure. Ça n'aurait pas été superflu à mon avis.»
Croit-elle que la nouvelle mesure incitera les consommateurs à dépenser plus dans les commerces touchés par celle-ci? « Pas du tout. On ne parle que d'un rabais de 5 % sur la facture, ce n'est pas beaucoup. Qui va venir magasiner d'ici Noël? Les gens qui font leurs achats à la dernière minute. Je ne pense pas que les gens attendaient l'entrée en vigueur de cette mesure pour faire leurs achats. Du moins, j'espère que non, car premièrement, les commerçants ne seront peut-être pas en mesure de bien les servir et deuxièmement, il faut garder en tête que les commerçants ont des dépenses fixes à payer comme le loyer. Je dois verser mon paiement le 1er décembre, pas le 15 ou le 20, parce que les affaires marchent bien.»
Mme Bourbonnais n'hésite pas à qualifier cette mesure de très pénible pour les commerçants concernés. « Je n'ai jamais été avisée de son entrée en vigueur. Je l'ai appris à la télévision, c'est assez ordinaire.»
Elle déplore que le cabinet de Justin Trudeau n'ait pas consulté les commerçants avant de mettre en place une mesure de cette importance. « Je comprends que de consulter chaque commerçant est impossible. Mais il aurait pu se tourner vers des associations comme le Conseil québécois du commerce de détail dont je suis membre. Ainsi, on aurait pu discuter pour savoir comment mettre en place cette solution et surtout dans quel délai», conclut-elle.
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