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Vingt ans après l'écrasement d'un MK Airlines à Halifax, des améliorations attendues

durée 16h49
14 octobre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

HALIFAX — L'écrasement mortel d'un avion-cargo de MK Airlines à Halifax le 14 octobre 2004 a accru les préoccupations concernant la fatigue et le manque de formation de l'équipage, mais 20 ans plus tard, des améliorations clés en matière de sécurité restent à apporter.

Les sept membres d'équipage sont morts dans l'accident. Il s'agit de David Lamb, Michael Thornycroft, Gary Keogh, Steven Hooper, Peter Launder, Mario Zahn et Christopher Strydom

M. Thornycroft était originaire d'Afrique du Sud, tandis que M. Zahn avait la double nationalité germano-sud-africaine. Les autres membres d'équipage étaient originaires du Zimbabwe.

Leurs noms sont inscrits sur un mémorial en granit sur le site. Une zone boisée située juste au-delà de la clôture de l'aéroport, où le Boeing 747 chargé de carburant s'est écrasé pendant le décollage, se brisant en morceaux et illuminant le ciel au petit matin.

Quelques secondes plus tôt, l'avion lourdement chargé avait eu du mal à quitter la piste et, par conséquent, sa queue — qui avait traîné sur le béton dans une pluie d'étincelles — a heurté un monticule de terre au bout de la piste, se brisant et empêchant tout espoir de récupération.

Le cabinet d'avocats de Ray Wagner à Halifax a travaillé avec un cabinet d'avocats de Toronto représentant six des familles des victimes dans une poursuite contre la compagnie aérienne, l'aéroport d'Halifax, une entreprise qui a fourni la formation et une entreprise qui a chargé l'avion.

M. Wagner se souvient du traumatisme durable subi par les familles. Dans les dossiers de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, 35 personnes sont répertoriées comme membres de la famille touchés par la catastrophe, y compris les parents, les enfants, les frères et sœurs et les conjoints.

«Je pleure pour les familles, a affirmé M. Wagner en entrevue la semaine dernière. Je pleure pour les enfants qui ont perdu leur père, et il y avait beaucoup d'enfants.»

Mais il se demande également si les leçons de sécurité ont été apprises et pleinement mises en œuvre.

«Est-ce que cela les a amenés (les défendeurs au procès) à vraiment changer leurs comportements? Changent-ils vraiment leurs pratiques pour s'assurer que cela ne se reproduise plus?» questionne-t-il.

Mike Kruger, ancien directeur général de MK Airlines — qui a fait faillite en 2010 — n'a pas répondu aux courriels demandant des commentaires sur l'anniversaire. Devant le tribunal de la Nouvelle-Écosse, MK a nié les lacunes dans ses pratiques de sécurité.

Plusieurs facteurs

Au départ, selon un rapport du Bureau de la sécurité des transports (BST) du Canada, la catastrophe semblait être une simple erreur humaine. En 2005, les enquêteurs avaient pointé du doigt un réglage incorrect de la manette des gaz qui avait privé l'avion, qui transportait 350 tonnes de fret, de la poussée nécessaire pour décoller.

L'équipage avait récemment commencé à utiliser un logiciel, connu sous le nom de «Boeing Laptop Tool» (BLT), qui calculait la puissance requise en fonction des données saisies par l'équipage sur le poids du fret, la longueur de la piste et les conditions météorologiques.

L'équipe d'enquête a découvert qu'il était possible qu'un membre de l'équipage utilisant le logiciel ait appliqué par inadvertance les données sur le poids du fret du vol précédent, qui était 110 tonnes plus léger, au décollage d'Halifax. En conséquence, le réglage de la puissance à Halifax ne tenait pas compte du poids réel.

Cependant, d'après le rapport du BST, cette erreur est le résultat d'autres facteurs humains. «Les facteurs qui ont probablement contribué à la production de paramètres de décollage incorrects et qui n'ont pas été décelés avant la tentative de décollage sont la fatigue de l'équipage de conduite (...) (et) la formation insuffisante à l'utilisation du BLT», peut-on lire dans le rapport.

Le BST a conclu que le régime des périodes de repos appliqué par MK Airlines, une compagnie réglementée par le Ghana, était «l'un des moins restrictifs parmi les États signataires» de l’Organisation de l’aviation civile internationale. MK Airlines autorisait des quarts de travail de 24,5 heures pour les équipages de trois pilotes, avec un maximum de 18 heures de vol.

En comparaison, au Canada, à l’époque, ces équipages ne pouvaient travailler que 20 heures, avec un maximum de 14 heures de vol.

«Il existe des limites de temps raisonnables au-delà desquelles un équipage de conduite ne peut rester en service sans que la fatigue aiguë commence à nuire au rendement», indique le rapport.

Et l’analyse du BST a mentionné qu'«en raison de la fatigue, l'équipage en fonction devait se trouver à son niveau de rendement le plus bas», au moment même où ils essayaient d’utiliser le logiciel à Halifax.

Entre-temps, des preuves ont été découvertes, expliquant pourquoi l’équipage ne maîtrisait pas le logiciel. Selon le BST, la compagnie a demandé à l’équipage d’étudier par lui-même le manuel de 46 pages et «très peu de formation directe était dispensée».

De plus, même si la compagnie avait déjà eu trois accidents, «la surveillance réglementaire de MK Airlines Limited effectuée par (l'Autorité de l'aviation civile du Ghana) n'était pas suffisante pour permettre de découvrir les cas graves de non-respect des temps de vol et de service, ou encore le non-respect permanent des instructions et des procédures de la compagnie», a écrit l'enquêteur.

Celui-ci a documenté la croissance rapide de la compagnie aérienne après sa fondation au Zimbabwe et le transfert de son siège social au Ghana.

L'autorité ghanéenne n'a pas répondu à un courriel demandant des commentaires.

Mettre en place des systèmes

La seule recommandation du rapport demandait à Transports Canada de travailler avec ses homologues internationaux pour créer un système de surveillance du décollage qui alerterait immédiatement l'équipage de l'avion en cas de problème avec les niveaux de puissance pendant le décollage.

Sur le site web du BST, il est indiqué que même si Transports Canada est en principe d'accord avec la recommandation, il n'existe pas encore de système fiable de ce type. Il ajoute que l'industrie est la mieux placée pour prendre l'initiative de développer un système qui aurait pu avertir les pilotes de leur catastrophe imminente.

Le BST a répondu que Transports Canada pourrait toujours faire pression pour que des recherches soient menées dans ce domaine, en collaboration avec d'autres organismes de réglementation.

Depuis l’accident, des règles de sécurité plus strictes ont été mises en place pour les pilotes canadiens de gros porteurs.

Par exemple, à compter de 2020, les compagnies aériennes devaient limiter la période de service des pilotes à entre 9 et 13 heures, selon la durée du vol, le nombre de segments parcourus ce jour-là et les heures de début de service.

Cependant, le Bureau de la sécurité des transports a placé la fatigue de l’équipage sur sa liste de surveillance en 2018, et elle y est restée depuis. Le BST réclame de Transports Canada la mise en place de systèmes de gestion de la fatigue ainsi que des systèmes permettant d'évaluer les causes de la fatigue et d'apporter des changements pour éviter l'épuisement.

La Presse Canadienne a demandé à Transports Canada ce qu’il fait pour s’assurer que les avions-cargos étrangers atterrissant au Canada ont à bord un équipage qui respecte les normes canadiennes pour prévenir la fatigue. Le ministère n’a pas fourni de réponse dans les délais.

L’avocat torontois Paul Miller, dont le cabinet a intenté la poursuite au nom des six familles, s’est dit heureux qu’en 2007, elles aient chacune reçu des indemnités «à sept chiffres».

Il a précisé que les détails ne peuvent pas être révélés en raison d'un accord de confidentialité. M. Miller a affirmé que l'action en justice était importante pour des raisons financières et émotionnelles pour les familles.

«Il était vraiment important de leur donner une explication de ce qui était arrivé à leurs proches, et aussi de leur apporter une aide financière, car la principale source de revenus de chacune des familles avait disparu dans cet horrible accident», a-t-il déclaré en entrevue la semaine dernière

Michael Tutton, La Presse Canadienne