Une interdiction d'importation d'abeilles divise la communauté apicole au pays
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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Le rejet d'un recours collectif autour des règles régissant le commerce transfrontalier d'abeilles vivantes met en lumière les divisions politiques au sein de la communauté apicole canadienne.
Un juge fédéral a décidé de ne pas accorder de dommages-intérêts aux apiculteurs commerciaux pour une interdiction partielle vieille de plusieurs décennies sur le transport d'abeilles vivantes à travers la frontière canado-américaine. La réglementation a été mise en place en raison de préoccupations concernant l'introduction d'organismes nuisibles et de maladies.
Les apiculteurs de l'Ouest canadien impliqués dans la poursuite affirment que les évaluations des risques du gouvernement qui sous-tendent les restrictions strictes sont exagérées et nuisent à leurs entreprises.
Michael Paradis de Paradis Honey Ltd., une entreprise apicole familiale de sept générations basée à Girouxville, en Alberta, est l'un des plaignants représentatifs dans l'affaire. Il s'est dit déçu de la décision, affirmant qu'elle met les apiculteurs dans une position dangereuse puisque l'industrie est déjà en crise.
«Le Canada n'a pas assez d'abeilles et ne peut pas du tout reconstituer son propre stock, a-t-il déclaré. Ça veut dire beaucoup plus de difficultés pour l'industrie si nous ne pouvons pas avoir accès aux abeilles américaines.»
Les apiculteurs ont été durement touchés pendant la pandémie de COVID-19, lorsque la diminution des vols aériens a rendu plus difficile l'importation d'abeilles et qu'ils ont subi des pertes hivernales cauchemardesques en 2022.
L'apiculteur commercial du Manitoba Brent Ash, l'un des témoins dans l'affaire, a soutenu que la décision entraverait l'industrie et rendrait la tâche particulièrement difficile aux apiculteurs des régions les plus froides du pays comme les Prairies, où se trouvent la plupart des apiculteurs du Canada.
«Le climat rend difficile la survie de ces insectes pendant l'hiver avec la division régionale», a-t-il déclaré, rappelant que les abeilles mellifères ne sont pas originaires d'Amérique du Nord.
Mais Steve Moore, président de l'Ontario Beekeepers' Association, a pour sa part indiqué que son groupe s'inquiétait des risques d'introduction accidentelle d'acariens résistants aux antibiotiques, de l'importation d'abeilles mellifères africanisées – communément appelées abeilles tueuses – et de petits coléoptères des ruches capable d'endommager les colonies.
«En Ontario, nous sommes certains de ne pas vouloir prendre le risque que cela devienne encore plus difficile si certaines de ces nouvelles menaces arrivent au pays par colis», a-t-il déclaré.
Il sympathise tout de même avec les plaignants.
«Lorsque nous allons dans nos ruchers, nous nous faisons piquer par nos abeilles. Lorsque nous rentrons chez nous, nous pouvons être piqués par un prix du miel bas, piqués par la hausse des coûts de production ou piqués par des pertes hivernales élevées, avec la menace de nouveaux agents pathogènes émergents. Nous sommes donc tous confrontés aux mêmes défis et c'est une période difficile pour les apiculteurs».
Une interdiction expirée
Même si l'interdiction d'importer des abeilles vivantes aux États-Unis a expiré en 2006, Ottawa n'a pas délivré de permis pour que les ruches d'abeilles ouvrières vivantes puissent traverser la frontière depuis. Les plaignants ont fait valoir qu'Ottawa leur devait un devoir de diligence et des centaines de millions de dollars en dommages et intérêts.
Le juge n'était pas d'accord.
«Il n’y a pas de devoir de diligence ni de négligence», a écrit la juge Cecily Strickland dans une longue décision, ajoutant que les plaignants n’ont pas réussi à prouver qu’Ottawa avait porté préjudice à leurs entreprises.
L’affaire a une longue histoire, remontant à un dépôt de plainte en 2012, et n’a été certifiée comme recours collectif qu’en 2017.
Le problème est encore plus ancien. Les gros titres des années 1980 criaient à l’alarme quant à la crainte que des mites infectieuses et mortelles provenant d’États américains puissent décimer les populations d’abeilles canadiennes. Les risques pour la santé des abeilles n’ont fait que s’aggraver depuis.
Une évaluation des risques réalisée en 2003 par l’organisme de réglementation a révélé que l’importation de reines d’abeilles était moins risquée, car elles sont plus faciles à inspecter. Le Canada autorise donc l’importation de ces reines et de leurs ouvrières en provenance des États-Unis, du Chili, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, du Danemark, d’Italie et de Malte.
«(Les colis d’abeilles) présentent un risque plus élevé d'introduction de maladies parce qu'ils sont expédiés avec le contenu de leur ruche, qui peut inclure des acariens, des parasites et des bactéries», a déclaré l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) dans un communiqué qui a salué la décision du juge.
Une importation coûteuse
Le Canada autorise également les importations d’abeilles ouvrières en provenance d’Italie, du Chili, d’Australie et de Nouvelle-Zélande, qui ont envoyé au Canada quelque 69 364 kg d’abeilles emballées en 2023, selon les statistiques d’Agriculture et Agroalimentaire Canada.
Mais l’importation en provenance de ces pays fait aussi grimper considérablement les coûts d’importation en raison du transport.
L’un des plaignants, John Gibeau, a écrit à l’ACIA il y a dix ans pour se plaindre du fait que l’importation de plus de 1200 colis pour 170 000 $ aurait coûté la moitié de ce montant s’il avait pu les acheter en Californie. M. Gibeau a dit qu’il n’était pas prêt à commenter l'affaire, car il n’avait pas encore digéré la décision.
M. Paradis a pour sa part déclaré que le problème le plus important pour lui, plus que le coût, est la qualité du stock d’abeilles et le moment où les expéditions arrivent.
«Nous nous intéressons aux abeilles des États-Unis qui sont des abeilles printanières – des abeilles jeunes et revigorées», a-t-il dit, ajoutant que cela leur permet d'avoir une durée de vie plus longue au Canada.
Bien qu'il soit déçu, M. Paradis a indiqué que l'une des principales raisons de la poursuite était de «faire venir l'ACIA à la table et d'avoir des discussions» sur l'interdiction d'importation, ce qui, selon lui, ne s'est enfin produit que récemment.
On estime que la pollinisation des abeilles mellifères au Canada contribue directement à 3,18 milliards $ à l'économie, mais ce chiffre s'élève à 7 milliards $ par an si l'on tient compte de la pollinisation du canola. Le Canada compte quelque 794 341 ruches.
Kyle Duggan et Maura Forrest, La Presse Canadienne