Technologistes médicaux: une pénurie silencieuse qui crée des retards dans le réseau
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Travailleurs de l'ombre et métier méconnu du public, les technologistes médicaux sont essentiels pour traiter les patients. Toutefois, une «pénurie critique» de technologistes sévit présentement au Québec, ce qui engendre des retards dans le réseau de la santé.
Les analyses effectuées par les technologistes médicaux permettent au médecin de poser un diagnostic, de proposer un suivi et un plan de traitement. Environ 85 % des diagnostics et des suivis thérapeutiques reposent sur les résultats de laboratoire.
Il existe plusieurs grands secteurs d'activité de la profession de technologistes médicaux, dont la banque de sang, la pathologie et la microbiologie.
Chaque année, ce sont 208 millions d’échantillons qui sont traités dans les laboratoires du réseau de la santé au Québec.
À l'occasion de la Semaine nationale du laboratoire médical qui se termine le 20 avril, La Presse Canadienne a rencontré plusieurs intervenants issus du milieu de la santé qui font valoir l'importance du rôle que jouent les technologistes médicaux.
Pénurie critique
Loan Luu, présidente de l’Ordre professionnel des technologistes médicaux du Québec (OPTMQ), estime que la pénurie est critique. Elle a indiqué que 50 % des besoins sont actuellement comblés.
Selon les données des cégeps pour l’année 2022-2023, on évaluait les besoins en technologistes médicaux à 687, et seulement 327 finissants ont été recrutés dans le réseau de la santé.
Mme Luu a soutenu que l'OPTMQ travaille avec les instances gouvernementales et d’autres collaborateurs, comme le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), pour trouver un plus grand bassin de main-d’œuvre qualifiée pour aider le réseau des laboratoires.
«De là l’importance de reconnaître le travail des technologistes médicaux parce qu’on veut aussi les retenir, précise-t-elle. C’est important de reconnaître leur apport et c’est le but de cette semaine de promotion nationale.»
Marie-Kim Potvin-Perron, technologiste médical en banque de sang au CHUM, est témoin de la pénurie de main-d'œuvre tous les jours.
Elle explique que la banque de sang est ouverte 24 h sur 24 et qu'il doit toujours y avoir au moins deux personnes en poste le soir et la nuit, notamment pour des besoins urgents, par exemple pour une patiente en salle d'accouchement qui ferait une hémorragie ou les besoins immédiats du bloc opératoire.
«On a des extrêmes urgences, dit-elle. Pour un patient dont les analyses ne seront pas nécessairement terminées, on doit donner le produit en moins de cinq minutes. Il faut s’assurer de la sécurité du produit rapidement», explique Mme Potvin-Perron.
Dans son département, ils devraient être six technologistes, mais il arrive qu'ils ne soient que deux en poste. «Les patrons nous ont établi une liste de priorités. Quand on entre en phase rouge, les patrons doivent appeler toutes les personnes en charge au bloc pour annuler des opérations, des rendez-vous, des transfusions, pour qu’on soit capable de répondre aux demandes d’urgence», a indiqué Mme Potvin-Perron.
Pour Marie-Reine Kouzaili, coordonnatrice technique en microbiologie, la pénurie de main-d'œuvre est moins intense dans son département, quoiqu'elle est présente.
«On applique souvent le plan de contingence. On passe au niveau 2 à cause du manque de personnel, donc parfois il y a des bancs de travail qui sont fermés, a fait savoir Mme Kouzaili. C’est sûr que c’est difficile du point de vue de la conservation des échantillons et pour respecter les délais. On doit optimiser temps, énergie, personnel, mais ce n’est pas tout le temps évident parce qu'ainsi tout le monde tombe en épuisement.»
Malgré les défis de pénurie, Mme Kouzaili et Mme Potvin-Perron sont de vraies amoureuses de leur travail. «On est des gens passionnés qui font des investigations, qui résolvent des problèmes, qui ont vraiment un impact dans le traitement du patient», a déclaré Mme Potvin-Perron.
«C’est vrai qu’on travaille dans l’ombre, reconnaît Mme Kouzaili. On n'a pas de contact avec le patient directement, donc le patient ou sa famille ne nous voient pas. Nous, la satisfaction qu’on a, c’est quand on fait notre travail et qu’on est capable de sortir notre résultat dans un délai acceptable, qu'on garde la qualité des échantillons et qu’au bout de la ligne le patient a le résultat que le médecin attend.»
Valoriser la profession
Des médecins ont aussi mis de l'avant l'importance du rôle des technologistes médicaux.
Dans le secteur de la pathologie, par exemple, le technologiste reçoit des échantillons de biopsie. Il doit s’assurer qu’il est mis dans le bon préservatif pour qu’on puisse procéder à l’analyse. Plusieurs étapes suivront avant de passer à la coupe, notamment s'il faut ramollir un bout d’os ou durcir un autre type de tissu pour pouvoir bien le couper.
«Ça prend des connaissances d’anatomie très importantes pour découper la bonne section pour trouver la maladie qu’on cherche», a expliquéDre Issa-Chergui, présidente de l’Association des pathologistes.La coupe doit être droite et homogène, et ensuite, il faut colorer la lame et appliquer le bon contraste.
Dre Issa-Chergui souligne que chaque prélèvement est précieux. On ne peut pas retourner à volonté chercher le morceau d'une tumeur, par exemple.
Dre Issa-Chergui croit qu'il faut mieux promouvoir ce métier qu'elle qualifie d'indispensable «On voit les médecins, les infirmières, les professionnels de la santé qui ont un contact direct avec le patient, mais on ne réalise pas que derrière chaque diagnostic, chaque traitement, il y a un test de laboratoire et que c’est un technologiste médical qui le fait. Il faut vraiment faire la promotion de ce rôle très important. Le diagnostic, c’est souvent dans le laboratoire que ça se fait.»
La Dre Cécile Tremblay, cheffe médicale du service de microbiologie du CHUM, abonde dans le même sens.
«Le rôle des technologistes médicaux est extrêmement précieux, dit-elle. Souvent, on pense que quand on demande un examen de laboratoire pour établir un diagnostic ou faire le suivi d’un patient, il suffit juste de mettre un tube dans une machine et on a un résultat. Mais dans la réalité, ce n’est pas le cas. Ça prend une expertise particulière pour être capable d’identifier les microbes correctement, d’identifier leur sensibilité aux antibiotiques, et d’arriver avec un diagnostic précis.»
Dre Tremblay, qui est également professeure titulaire au Département de microbiologie, infectiologie et immunologie à l'Université de Montréal, souligne qu'il y a beaucoup de facettes au métier.
«Les gens peuvent manipuler des instruments, apprendre beaucoup sur la bactériologie et peuvent contribuer au bien-être des patients, et ça, c’est sous-estimé, affirme-t-elle. Et malheureusement il n’y a pas suffisamment de personnes en formation pour combler les besoins qu’on a et ça cause des problèmes réels dans le réseau.»
Il faut mieux valoriser la profession pour attirer une relève compétente, selon Dre Tremblay et Dre Issa-Chergui. Le public aurait intérêt à savoir ce qui se passe derrière les portes des laboratoires dans les hôpitaux pour comprendre à quel point le travail qui s'y fait est crucial pour le patient.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne