Protection de l’enfance: l’APN et Ottawa finalisent un accord de 47,8 G$ sur 10 ans
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Par The Canadian Press, 2024
MONTREAL — L’Assemblée des Premières Nations (APN) et le gouvernement fédéral ont finalisé mercredi soir un accord qui verra le gouvernement fédéral dépenser 47,8 milliards $ pour réformer les programmes de protection de l’enfance au cours des 10 prochaines années.
La cheffe nationale de l’APN, Cindy Woodhouse Nepinak, a fait cette annonce au dernier jour de l’assemblée générale annuelle de l’APN à Montréal, deux jours seulement après avoir déclaré aux chefs qu’une offre avait été présentée sur la table, mais qu’elle ne pouvait pas encore en discuter publiquement.
Bien que son annonce ait été accueillie avec acclamations, des inquiétudes subsistaient, jeudi, parmi certains qui l’accusaient, elle et l’APN, de travailler en catimini pour finaliser un accord qui affecterait leurs enfants pour les générations à venir.
L’entente vise à réparer des décennies de discrimination à l’égard des enfants des Premières Nations, retirés de leur famille et placés en famille d’accueil parce que les systèmes de protection de l’enfance dans les réserves n’étaient pas suffisamment financés pour fournir des services susceptibles de maintenir l’unité des familles.
«Il y a eu tellement de douleur et de préjudices causés par cette politique raciste de protection de l’enfance dans chacune de nos communautés des Premières Nations et dans nos familles», a rappelé Mme Woodhouse Nepinak, lors d’une conférence de presse.
Le gouvernement fédéral est responsable de la protection de l’enfance dans les réserves, et les gouvernements provinciaux des programmes de protection de l’enfance partout ailleurs. Mais le financement d’Ottawa était à égalité avec celui des provinces en matière de placement familial, car ils devaient payer des agences provinciales pour fournir ce service aux tarifs provinciaux.
L’APN devrait ratifier l’accord au cours d’une assemblée extraordinaire en septembre.
Changement fondamental
La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, a versé quelques larmes alors que Mme Woodhouse Nepinak discutait de l’accord monumental auquel ils étaient parvenus.
«C’est une tentative d’apporter un peu de paix aux familles, aux communautés et aux peuples des Premières Nations qui ont subi l’odieux du colonialisme à travers ce que je qualifierais de politique la plus cruelle, qui consiste à séparer les familles», a mentionné la ministre.
Le chef régional de l’Ontario, Abram Benedict, a affirmé que l’accord marque un changement fondamental dans la relation entre les Premières Nations et Ottawa.
«Je peux vous dire qu’en tant que membre de l’équipe de négociation, nous sommes satisfaits de l’accord que nous avons obtenu. Autrement, nous ne l’aurions pas proposé», a-t-il mentionné, remerciant la ministre Hajdu pour son soutien. «C’est révolutionnaire.»
Il a ajouté que les peuples des Premières Nations vont maintenant entamer le processus de discussion de l’accord sur ses mérites. «C’est désormais entre les mains de nos communautés.»
Accord bonifié
L’accord vaut plus du double de ce qui avait été initialement promis pour une réforme à long terme dans un accord de règlement résultant d’une plainte âprement disputée en matière de droits humains concernant le sous-financement des services de protection de l’enfance.
Le Tribunal canadien des droits de la personne a statué que le Canada avait fait preuve de discrimination à l’égard des enfants des Premières Nations en raison du sous-financement chronique des programmes de protection de l’enfance.
Le montant initial était prévu à 20 milliards $. Un montant distinct de 23 milliards $ a été réservé pour indemniser les enfants et les familles lésés par le système.
Les familles qui ont contribué au lancement du procès initial se sont tenues aux côtés du ministre et du chef national pour annoncer la nouvelle.
Préoccupations et dissidence
Le processus visant à parvenir à cet accord historique a été entaché par les préoccupations des chefs de tout le pays, la protection de l’enfance dominant les conservations en marge, les résolutions de dernière minute et les réunions à huis clos, bien qu’elles aient été pour la plupart effacées sur l’ordre du jour initial.
Quatre chefs régionaux qui siègent aux côtés de Mme Woodhouse Nepinak au comité exécutif de l’Assemblée lui ont écrit en juin des lettres dénonçant ses efforts pour parvenir à un accord, affirmant qu’elle outrepassait son mandat en prenant des décisions qui affecteraient directement les enfants et les familles des Premières Nations sans leur consentement.
Les chefs Bobby Cameron, Terry Teegee, Ghislain Picard et Joanna Bernard représentent plus de la moitié des Premières Nations du Canada.
Ils ont également accusé l’APN d’avoir tenté d’exclure la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du processus, bien qu’ils aient déposé conjointement une plainte en matière de droits de la personne concernant le sous-financement par Ottawa des services de protection de l’enfance dans les réserves.
Mme Woodhouse Nepinak a nié ces allégations et a dit que les chefs pourraient consulter l’accord avant qu’il ne soit voté lors d’une assemblée spéciale des chefs à l’automne.
Elle a également promis d’écouter les commentaires qu’elle recevrait.
«Vous nous avez demandé d’aller chercher un accord avec le Canada. Vous nous avez poussés à maintes reprises à continuer de négocier dans le bon sens, a-t-elle rappelé aux chefs. Je reçois des directives de votre part. Pas des agences, ni de l’APN, ni du personnel, ni de qui que ce soit d’autre, mais des chefs.»
Elle a révélé le montant en dollars lors d’une réunion à huis clos avec les chefs et leurs mandataires, mardi.
Au cours de cette réunion, elle a parlé des risques politiques de ne pas accepter l’accord qui est sur la table, selon une source présente dans la salle, mais qui a demandé l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à partager les détails publiquement.
Ce risque fait référence au fait qu’une élection fédérale se profile à l’horizon et qu’un nouveau gouvernement dirigé par les conservateurs est envisageable.
Lorsqu’on lui a demandé ce qui se passerait en cas de changement de gouvernement l’année prochaine, Mme Woodhouse Nepinak a répondu qu’il existe un engagement financier que le prochain gouvernement, «en théorie», ne sera pas en mesure de renier.
Alessia Passafiume, La Presse Canadienne