Palmarès des législateurs: ces ministres qui ont fait adopter le plus de lois
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Par La Presse Canadienne, 2024
QUÉBEC — Qui a fait adopter le plus de lois au cours du dernier quart de siècle à l'Assemblée nationale?
La réponse est... Monique Jérôme-Forget, ministre du gouvernement libéral de Jean Charest pendant presque six ans.
C'est ce que révèle un palmarès de l'activité législative du Parlement préparé par La Presse Canadienne avec l'aide précieuse de la Bibliothèque de l'Assemblée nationale.
En tout, celle qui a été présidente du Conseil du Trésor, ministre des Finances, ministre des Infrastructures et ministre des Services gouvernementaux a fait adopter 37 lois.
«Je suis renversée!» a lancé l'ancienne élue, étonnée par cette statistique.
«Peut-être que j'avais de grands talents... là, je ris de moi-même, soyons bien clairs!» a-t-elle lancé en boutade, avec son style bien à elle, en entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne depuis le Mexique.
Deux autres de ses collègues libéraux avec qui elle a siégé, soit Jean-Marc Fournier et Jacques Dupuis, la suivent avec 29 lois chacun, à égalité.
Elle est largement en avance parmi les 139 ministres qui ont fait entériner des textes législatifs durant les 25 dernières années, malgré sa carrière de ministre relativement courte, alors qu'elle n'a pas tout à fait complété son mandat en démissionnant au printemps de 2009.
«Une studieuse»
«Je ne me rappelle pas que ça a été difficile, mais j'y mettais du temps, j'étais une studieuse. Je n'allais pas faire des tournées internationales, j'étais ministre pour travailler, j'allais aux réunions, j'étais là, j'étais intense.»
Comment est-ce possible en à peine six ans, considérant qu'il faut souvent plusieurs mois pour faire adopter une loi?
Entre autres en raison de ses fonctions: à titre de présidente du Conseil du Trésor, elle a dû faire adopter plusieurs lois sur les crédits budgétaires des ministères et organismes après le dépôt du budget annuel.
Ainsi, 12 des lois qu'elle a pilotées portent sur les crédits.
Mais il n'en reste pas moins qu'elle a fait cheminer un grand nombre de lois à caractère financier, à incidence fiscale, et touchant les régimes de retraite, entre autres.
«Il y avait plein de projets de loi techniques», a-t-elle expliqué.
«Habituellement, les ministres ne sont pas intéressés par les projets de loi techniques, mais c'est important pour les gens qui oeuvrent au gouvernement», a rappelé celle qui avait été sous-ministre aux Finances à Ottawa.
«Mes collègues disaient: "encore une affaire ennuyante". Je leur disais "oui, c'est ennuyant", donc ils me laissaient faire ce que je voulais. C'était des choses importantes, vitales, mais c'était des technicalités.»
On se rappellera aussi de sa Loi sur l'Agence des partenariats public-privé, les fameux PPP qui avaient suscité tant de controverses à l'époque, parce que les critiques y voyaient une privatisation en douce.
Encore aujourd'hui, elle défend sa démarche: dans un PPP, les partenaires sont contraints de bien entretenir l'infrastructure pour la durée du contrat.
«C'était pour l'entretien du patrimoine. Les politiciens n'aiment pas dépenser de l'argent pour l'entretien, on ne gagne pas des votes avec ça. Les politiciens aiment couper des rubans.»
Sonia LeBel et Guy Chevrette
Dans le gouvernement caquiste actuel, c'est aussi la titulaire de la présidence du Conseil du Trésor qui se rapproche le plus de la performance de Mme Jérôme-Forget: Sonia LeBel.
Mme LeBel a à son actif 28 lois adoptées en six ans de vie parlementaire, dont une dizaine sur les crédits budgétaires.
Ancienne procureure de la commission Charbonneau, c'est elle qui a piloté au moins trois lois qui s'inspiraient en partie des conclusions de la commission d'enquête. Elle a aussi fait adopter une loi pour accélérer les projets d'infrastructures, en pleine pandémie, en plus de nombreux autres textes sur les régimes de retraite et les conventions collectives.
À titre de comparaison, deux autres ministres influents du cabinet caquiste, Simon Jolin-Barrette et Geneviève Guilbault, ont ajouté respectivement 21 et 10 textes au corpus législatif du Québec.
C'est un bilan notable, considérant que ces deux ministres ne pouvaient porter à leur actif de nombreuses lois sur les crédits. M. Jolin-Barrette a notamment fait aboutir la Loi sur la laïcité de l'État et la réforme de la Charte de la langue française.
Sur le dernier quart de siècle, Sonia LeBel se trouve à être à égalité avec le ministre Guy Chevrette, du Parti québécois (PQ).
Ce vieux routier de la politique québécoise, compagnon de René Levesque, aurait d'ailleurs pu afficher des faits d'armes encore plus éloquents si on avait tenu compte de l'ensemble de sa carrière, amorcée à titre de député en 1976 et de ministre à partir de 1982.
Mais pour les fins de cette recension, La Presse Canadienne a tenu à se concentrer seulement sur l'Histoire politique du Québec depuis le début de ce siècle.
Pour être plus précis, le décompte a commencé à partir de la 36e législature de mars 1999 qui a suivi les élections de novembre 1998, pour éviter de compter à partir du 1er janvier 2000, en cours de mandat.
En tout, pas moins 1103 lois ont été adoptées par le Parlement depuis mars 1999.
Il ne s'agit pas bien sûr ici d'une analyse qualitative de cette législation. En outre, plusieurs lois comptent des dizaines de pages, voire plus d'un millier d'articles, tandis que d'autres tiennent sur une seule page.
Sur cette somme, les ministres féminines en ont fait voter 354, soit un peu plus du tiers, ce qui dénote, sur les 25 dernières années, le poids encore relatif des femmes en politique.
Des leçons: ne pas être partisan
Mme Jérôme-Forget avait-elle sa recette, ses trucs pour faire avancer ses projets de loi?
«La leçon que je donne toujours aux ministres: assure-toi que t'es proche des sous-ministres qui travaillent pour toi, ce sont des gens très dévoués», a-t-elle indiqué à propos des grands commis de l'État, qui dirigent le personnel du ministère et assurent l'interface avec le pouvoir politique, le ministre et son cabinet.
«Moi, mes fonctionnaires, c'était des Dieux. (...) J'ai toujours été entourée de stars dans la fonction publique. (...) Parfois, on va tenir tête à ses fonctionnaires parce qu'on y croit.»
Et surtout, l'ancienne ministre met en garde contre une des tentations naturelles dans le parlementarisme: être partisan. Selon elle, il faut éviter ce piège, cultiver de bonnes relations avec les élus des oppositions.
«Je n'ai jamais été partisane, ça me fatiguait, ce côté de la politique, j'étais amie avec tout le monde», conclut-elle.
Rappelons que dans le parlementarisme britannique, le ou la ministre dépose les projets de loi touchant ses champs d'action et les pilote à travers tout le processus législatif, c'est-à-dire l'adoption du principe, les consultations, l'étude en commission parlementaire, article par article, jusqu'à l'adoption finale.
Si le gouvernement est majoritaire, l'adoption est assurée... ou presque. Un gouvernement peut en effet décider de retirer un projet de loi ou le laisser mourir au feuilleton si ses intensions ont changé. Les partis d'opposition peuvent aussi mener un travail pugnace en commission parlementaire.
Sauf exception, ce n'est pas le ministre qui rédige lui-même ses projets de loi. Des équipes de légistes s'affairent à traduire en articles de loi les principes et intentions du gouvernement. Une fois le projet de loi déposé en Chambre et que le principe est adopté, des amendements peuvent être apportés en commission parlementaire soit par le ministre, soit par les députés de l'opposition.
Patrice Bergeron, La Presse Canadienne