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Le plan climat de Mark Carney est «efficace» mais «complexe»

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1 février 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Le «plan pour changer la taxe carbone» proposé par l’aspirant chef à la direction du Parti libéral du Canada Mark Carney comporte des mesures efficaces pour diminuer les gaz à effet de serre (GES), selon le spécialiste des politiques énergétiques Pierre-Olivier Pineau. Mais ces mesures, selon le professeur, s’ajoutent à une panoplie d’autres programmes qui peuvent rendre complexe la compréhension des politiques climatiques des libéraux.

Mark Carney a publié un plan vendredi, qui résume, en quelques pages, la politique climatique qu'il souhaite implanter au pays s'il devient premier ministre.

Dans son plan, qui «fera baisser le coût de la vie pour la population, contribuera à bâtir notre économie et créera des emplois», il y a des incitatifs pour des achats verts, un nouveau marché de crédits carbone pour les consommateurs et un «mécanisme d’ajustement carbone aux frontières», notamment.

«Ce sont de grandes lignes qui respectent l'intention de lutter contre les changements climatiques, mais qui se conforment à une malheureuse réalité politique où les meilleures solutions ne peuvent pas être mises en place», a commenté le professeur Pierre-Olivier Pineau, responsable de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal.

Lorsqu’il évoque les «meilleures solutions», le professeur Pineau fait référence à la «taxe carbone», un des mécanismes les plus efficaces pour lutter contre les changements climatiques, selon lui et aussi selon des centaines d’économistes du pays qui ont signé une lettre ouverte au printemps dernier.

Mais «la désinformation» a rendu «la taxe carbone toxique dans le discours public, alors il faut trouver des stratagèmes et les stratagèmes mis de l’avant par Mark Carney sont intéressants et constructifs, étant donné le climat politique actuel», a ajouté le professeur Pineau.

Nouveau marché de crédits carbone pour les consommateurs

Le «plan pour changer la taxe carbone» de Mark Carney propose notamment de «faire en sorte que les grands pollueurs paient les consommateurs pour réduire leur empreinte carbone en développant et en intégrant au système de tarification industrielle un nouveau marché de crédits carbone pour les consommateurs».

Dans le système actuel de tarification du carbone, les grandes entreprises qui réussissent à réduire leurs GES sont récompensées et obtiennent des crédits qu’elles peuvent vendre.

Les industriels qui, au contraire, sont incapables de diminuer leurs GES sous un certain seuil doivent débourser un montant.

Dans la nouvelle proposition de Mark Carney, les grands émetteurs industriels qui ne diminuent pas leurs émissions sous le seuil fixé par le gouvernement auraient un autre choix.

Ceux-ci pourraient acheter des crédits qui permettraient à des particuliers de diminuer leur empreinte carbone.

Des systèmes semblables existent dans d’autres pays, a expliqué le professeur Pierre-Olivier Pineau.

«En Europe, il y a ce genre de programme» ou «certaines compagnies ont l’obligation d’obtenir des gains d’efficacité énergétique» et «l’une des façons d’y arriver est de financer une partie des travaux d’efficacité énergétique chez des particuliers».

Le remplacement d’un système de chauffage au mazout ou au propane par un système fonctionnant à l’électricité ou avec une autre source d’énergie renouvelable est un exemple de travaux d’efficacité énergétique.

«Donc, ma compréhension est qu’une entreprise industrielle qui est incapable de réduire ses propres émissions pourrait obtenir des crédits», en finançant «des activités qui réduisent l’empreinte carbone de particuliers», a résumé M. Pineau.

La Presse Canadienne a demandé à une porte-parole de la campagne de Mark Carney si un tel système s'appliquerait à toutes les provinces ou seulement à celles qui n'ont pas de système d’échange de droits d’émission provincial pour les grands émetteurs.

La porte-parole Emily Williams a répondu ceci: «Un gouvernement dirigé par Mark Carney travaillera en collaboration avec les provinces et les territoires pour mettre en place la meilleure approche afin de lutter contre les changements climatiques tout en soutenant les consommateurs. Nous croyons que les grands pollueurs doivent faire leur juste part et que les Canadiens devraient en bénéficier.»

«Tarifs» carbone aux frontières

L’ex-gouverneur de banques centrales souhaite également «favoriser une concurrence juste et améliorer les résultats environnementaux en adoptant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières».

Ce type de mécanisme est une sorte de tarif imposé aux produits importés à forte empreinte carbone.

Par exemple, «si un produit arrive du Dakota du Nord où il n'y a aucune tarification sur le carbone, et qu'il rentre en Saskatchewan où il y a un prix sur le carbone, et bien le mécanisme d'ajustement à la frontière va imposer un tarif sur ce produit qui arrive du Dakota du Nord», a expliqué le responsable de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal.

«C'est une très bonne chose» et «le gouvernement canadien était déjà en train d'étudier ce genre de mécanisme», a ajouté M. Pineau en précisant que l’Union européenne déploie, depuis peu, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Ce type de mesure favorise les produits à plus faible intensité carbone.

«On ajoute un tarif sur les biens (à haute densité carbone) avec une justification entièrement rationnelle, contrairement à d'autres pays voisins qui n'ont pas toujours une rationalité derrière les tarifs qu'ils veulent imposer», a commenté le professeur.

Une panoplie de mesures

Mark Carney promet également d’accélérer l’approbation de projets d’énergie propre, il souhaite étudier la possibilité de renforcer les règlements sur le méthane provenant du pétrole et du gaz, de renforcer le système de tarification fondé sur le rendement (STFR) pour les grands émetteurs industriels et de créer une «stratégie canadienne de compétitivité industrielle qui favorise un avantage comparatif propre», entre autres mesures.

Le professeur Pierre-Olivier Pineau a souligné qu'il peut y avoir un risque à proposer autant de programmes.

«C'est déjà difficile d'expliquer les enjeux» et les solutions à la crise climatique «surtout quand on fait face à autant de désinformation».

«Si on regarde l'entièreté des différents mécanismes et programmes qui existent pour réduire les gaz à effet de serre et ceux qu’on ajoute, c’est loin d'être simple. On a une panoplie d'outils carbone qui mettent un prix direct ou indirect sur le carbone et qui rend la compréhension extrêmement complexe et laborieuse.»

Mais ces systèmes complexes sont proposés «parce que les Canadiens ne sont pas prêts à simplement accepter qu’on va mettre un prix très clair et direct sur le carbone», a conclu le professeur.

En conférence de presse vendredi, Mark Carney a expliqué que la «taxe carbone», même si elle est efficace, est «devenue trop divisive» et doit être remplacé par un plan climatique rassembleur.

Le plan de M. Carney conserve, de son aveu même, l'élément «le plus important» du prix sur la pollution, soit celui qui est facturé aux grands pollueurs. Il a d'ailleurs noté que près de «90 %» de la réduction des émissions de GES proviennent du secteur industriel.

En 2021, le Canada s’était engagé à réduire d’ici 2030 ses émissions de GES de 40 à 45 % sous les niveaux de 2005, mais, jusqu’à présent, elles n’ont diminué que de 7 %.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne

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