Le monde produit 57 millions de tonnes de pollution plastique chaque année
Temps de lecture :
5 minutes
Par La Presse Canadienne, 2024
Chaque année, le monde produit 57 millions de tonnes métriques de pollution plastique et la répand des profondeurs des océans jusqu'aux plus hauts sommets des montagnes, mais aussi à l'intérieur du corps humain, selon une nouvelle étude qui indique également que plus des deux tiers de cette pollution proviennent du Sud global.
Cela représente suffisamment de pollution chaque année pour remplir Central Park à New York de déchets plastiques et en faire une tour de la hauteur de l'Empire State Building, selon des chercheurs de l'Université de Leeds, au Royaume-Uni. Ils ont examiné les déchets produits au niveau local dans plus de 50 000 villes et villages à travers le monde pour une étude publiée mercredi dans la revue «Nature».
L'étude a porté sur le plastique qui se retrouve dans l'«environnement ouvert», et non sur le plastique qui va dans les décharges ou qui est correctement incinéré. Pour 15 % de la population mondiale, le gouvernement ne parvient pas à collecter et à éliminer les déchets, ont déclaré les auteurs de l'étude — une des principales raisons pour lesquelles l'Asie du Sud-Est et l'Afrique subsaharienne produisent le plus de déchets plastiques. Cela inclut 255 millions de personnes en Inde, toujours selon l'étude.
Pour l'auteur de l'étude, Costas Velis, professeur d'ingénierie environnementale à Leeds, c'est à Lagos, au Nigeria, que l'on trouve la plus grande pollution plastique de toutes les villes. Les autres plus grandes villes polluantes en plastique sont New Delhi, Luanda, en Angola, Karachi, au Pakistan, et Le Caire, en Égypte.
L'Inde est le premier producteur mondial de déchets plastiques, avec 9,3 millions de tonnes métriques, soit bien plus du double des autres pays les plus polluants, le Nigeria et l'Indonésie. La Chine, souvent décriée pour sa pollution, se classe au quatrième rang, mais fait d'énormes progrès dans la réduction des déchets, a souligné le professeur Velis.
Les autres principaux pollueurs en plastique sont le Pakistan, le Bangladesh, la Russie et le Brésil. Ces huit pays sont responsables de plus de la moitié de la pollution plastique mondiale, selon les données de l'étude. Les États-Unis se classent au 90e rang en matière de pollution plastique, avec plus de 47 600 tonnes métriques, et le Royaume-Uni au 135e rang, avec près de 4600 tonnes métriques, selon l’étude.
Traité international
En 2022, la plupart des nations du monde ont accepté de conclure le premier traité juridiquement contraignant sur la pollution plastique, y compris dans les océans. Les négociations finales du traité auront lieu en Corée du Sud en novembre.
L’étude a utilisé l’intelligence artificielle pour se concentrer sur les plastiques qui ont été mal brûlés – environ 57 % de la pollution – ou simplement déversés. Dans les deux cas, des microplastiques incroyablement minuscules, ou nanoplastiques, sont ce qui transforme le problème d’une nuisance visuelle sur les plages et d’un problème de vie marine en une menace pour la santé humaine, a déclaré le professeur Velis.
Plusieurs études ont été réalisées cette année sur la prévalence des microplastiques dans notre eau potable et dans des tissus humains, comme le cœur, le cerveau et les testicules. Les médecins et les scientifiques ne savent toujours pas exactement ce que cela signifie pour la santé humaine.
«La grande bombe à retardement des microplastiques, ce sont ces microplastiques libérés principalement dans les pays du Sud», a déclaré M. Velis. «Nous avons déjà un énorme problème de dispersion. Ils se trouvent dans les endroits les plus reculés […] les sommets de l’Everest, dans la fosse des Mariannes, dans l’océan, dans ce que nous respirons, ce que nous mangeons et ce que nous buvons.»
Il estime que tout le monde est responsable de ce problème qui hantera les générations futures. «Nous ne devrions pas rejeter la faute, quelle qu’elle soit, sur les pays du Sud, a estimé le chercheur, et nous ne devrions en aucun cas nous vanter de ce que nous faisons dans les pays du Nord.»
Il s’agit simplement d’un manque de ressources et de capacité du gouvernement à fournir les services nécessaires aux citoyens, a souligné M. Velis.
«Réduire avant tout la production»
Des experts extérieurs à l'étude craignent que l’accent qu'elle met sur la pollution, plutôt que sur la production globale, ne laisse l’industrie du plastique hors de cause. La fabrication de plastiques émet de grandes quantités de gaz à effet de serre.
«Ces types ont défini la pollution plastique d’une manière beaucoup plus étroite, en se limitant aux macroplastiques qui sont rejetés dans l’environnement après consommation, et cela risque de nous faire perdre de vue l’amont et de dire: 'bon, maintenant, tout ce que nous avons à faire est de mieux gérer les déchets'», a déclaré Neil Tangri, directeur de la science et de la politique chez GAIA, un réseau mondial d’organisations de défense des droits qui travaillent sur des initiatives zéro déchet et de justice environnementale. «C’est nécessaire, mais ce n’est pas tout.»
Theresa Karlsson, conseillère scientifique et technique auprès de l’International Pollutants Elimination Network, une autre coalition de groupes de défense des droits sur les questions d’environnement, de santé et de déchets, a qualifié le volume de pollution identifié par l’étude d’«alarmant».
Selon elle, ce volume montre que la quantité de plastique produite aujourd’hui est «ingérable». Mais elle estime par ailleurs que cette étude ne tient pas compte de l'importance du commerce mondial des déchets plastiques, des pays riches vers les pays pauvres. L'étude indique que le commerce des déchets plastiques est en baisse, la Chine interdisant les importations de déchets.
Mme Karlsson soutient que le commerce des déchets en général est en fait en augmentation — et probablement aussi le commerce des plastiques. Elle a cité les exportations de déchets de l'Union européenne, qui sont passées de 100 000 tonnes métriques en 2004 à 1,3 million en 2021.
M. Velis soutient que la quantité de déchets plastiques échangés est faible. Kara Lavender Law, professeure d'océanographie à la «Sea Education Association», qui n'a pas participé à l'étude, est du même avis, sur la base des tendances américaines en matière de déchets plastiques. Elle estime qu'il s'agit par ailleurs de l'une des études les plus complètes sur les déchets plastiques.
Les responsables de l'industrie des plastiques ont salué l'étude. «Elle souligne que les déchets plastiques non collectés et non gérés sont le principal contributeur à la pollution plastique et que donner la priorité à une gestion adéquate des déchets est essentiel pour mettre fin à la pollution plastique», a déclaré Chris Jahn, secrétaire du c.a. du Conseil international des associations chimiques, dans un communiqué.
Dans les négociations sur le traité, l'industrie s'oppose à un plafonnement de la production de plastique.
Les Nations unies prévoient que la production de plastique devrait augmenter d'environ 400 millions de tonnes métriques par année à plus de 1100 millions de tonnes, affirmant que «notre planète s'étouffe sous le plastique».
Seth Borenstein, The Associated Press