La science forensique se joint à la lutte contre les parfums contrefaits
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Pour aider à lutter contre les parfums contrefaits, un doctorant en science forensique à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), en collaboration avec la section de chimie du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale de Montréal, a analysé et comparé plus d'une centaine d'échantillons, authentiques et contrefaits. Et à force d’analyses, le scientifique a réussi à faire avouer certains de leurs secrets aux essences illégales et ça ne sent pas très bon.
Peut-être, sous le sapin, cette année, trouverez-vous un petit paquet contenant un flacon élégant à la fragrance entêtante dont vous vous aspergerez avec plaisir. Le parfum reste un grand classique du cadeau, que ce soit à Noël ou en tout autre occasion, mais il vient avec un coût qui pousse bon nombre de consommateurs à chercher des tarifs plus intéressants. Cependant, l’aubaine du siècle fleure bon l’arnaque.
Depuis la pandémie, avec l’aide du commerce en ligne, le marché du parfum contrefait est en pleine expansion et fort lucratif. Selon une étude faite en 2016 par le consultant en économie Frontier Economics, le marché mondial de la contrefaçon et des biens piratés représentait déjà en 2013 près de 1,13 trillion $ US. L’étude estimait alors qu’il atteindrait en 2022 les 2,8 trillions $ US. Le doctorant Pier-Louis Dumont, déjà titulaire d'une maîtrise en chimie, glisse que le montant pour 2024 est probablement encore plus élevé.
Il enfonce le clou en ajoutant que certaines études pointent que la contrefaçon serait autant, voire plus, lucrative que d'autres activités illégales, comme la vente de stupéfiants, par exemple, et que l’argent engrangé par la vente de contrefaçons permettrait de financer d’autres activités.
Tel un limier qu'aurait pu imaginer Agatha Christie, M. Dumont a cherché des traces dans les échantillons qui lui ont été fournis par la police et qu’il a pu se procurer de son côté. C’est d’ailleurs tout le principe de la science forensique, à savoir la recherche de traces chimiques sur un support quelconque. Chaque trace, explique le doctorant, est «un vestige des activités passées. Il y a plein d’événements qui vont apposer leur marque sur une scène de crime. La science forensique, c’est interpréter comment cette trace-là a été produite et ce qu’elle représente.»
L’odeur en vaut-elle la chandelle?
Au fil de ses analyses, M. Dumont a découvert que la plupart des parfums contrefaits utilisaient en guise de solvant du méthanol au lieu de l’éthanol que l’on trouve dans les parfums de marques. Le second est bien connu des piliers de comptoir pour ses effets sur le foie quand il est absorbé en trop grande quantité, mais il n’est pas plus toxique que ça. Le premier, en revanche, c’est ce qu’on met notamment dans les produits lave-vitres. Il s’agit d’une petite molécule qui peut passer à travers les pores de la peau et être absorbée par l’organisme. «À long terme, ça va finir par causer des problèmes de santé, indique le doctorant. Le méthanol est réputé pour causer des problèmes pour la vue, entre autres.»
De plus, il a pu identifier dans les composants des parfums contrefaits des allergènes et des substances toxiques. L’industrie de la parfumerie est soumise à des normes strictes qui obligent les parfumeurs à bannir certains ingrédients et les incitent à en éviter certains également. Des normes que les fabricants illégaux ne s’embêtent pas à respecter. Appliquer directement sur la peau leurs produits n’est donc pas sans risque.
À court terme, les dommages sont peu probables, estime le chimiste. Mais à long terme, il pourrait y avoir des complications. «Le parfum contrefait a une durée beaucoup moins longue, relève-t-il (...) Ce sont des produits qui sont très dilués, car les criminels veulent maximiser leurs profits, ce qui fait que le consommateur va vouloir en réappliquer régulièrement.»
C'est cette répétition sur la durée qui pourra potentiellement causer des irritations de la peau, des réactions allergiques ou des complications beaucoup plus sévères. Cependant, les différentes études existantes ne sont pas encore en mesure de dire précisément quels sont les risques, car tout dépend de la molécule et de sa concentration, la combinaison des deux s’ouvrant sur des possibilités quasi infinies.
Remonter la piste des traces
L’autre élément important qui est ressorti des analyses de Pier-Louis Dumont, c’est la présence de traces similaires dans des parfums contrefaits de différentes marques. Le limier chimiste, au même titre que la reine du roman policier, ne croit pas aux coïncidences, même si sa réserve scientifique l’empêche de tirer des conclusions définitives. Il en déduit donc que ces similarités pourraient indiquer que ces parfums sont le produit d’une même source. Soit parce que les traces suggèrent que la recette ou la méthode de fabrication sont partiellement les mêmes, soit parce qu’elles suggèrent que les parfums ont subi les mêmes contaminations, et donc qu’ils ont été produits ou stockés au même endroit.
Le doctorant ajoute que «ça devient intéressant pour les enquêtes parce que si, par exemple, on arrête deux individus qui vendent des parfums contrefaits et que ces parfums-là proviennent d'une même source, ça pourrait orienter les investigations vers la source de distribution. (...) Ça fait qu’on pourrait arrêter de plus gros poissons». Par exemple, mettre au jour la recette utilisée par le fabricant illégal permettrait de repérer celui-ci lorsqu’il se procure les ingrédients nécessaires.
Comment repérer qu’il s’agit de parfum contrefait? Pier-Louis Dumont place tout en haut de la liste des indices le prix. Si c’est trop beau pour être vrai, c’est que c’est probablement faux. Un parfum de luxe vendu avec 75% de remise a bien peu de chances d’être authentique.
Viennent ensuite des indices visuels, à savoir si l’emballage, l’étiquette, le flacon et le liquide sont conformes au design de la marque. Donc, si vous voyez le célébrissime Camel no 5 dans un flacon octogonal avec un contenu de couleur verte, passez votre chemin. À plus forte raison si le peu de texte sur l’emballage contient des fautes.
Le dernier indice que donne le chimiste, qui n’est malheureusement pas valable pour la vente en ligne, c’est l’odeur. Une contrefaçon se dissipera rapidement. Et, si vous connaissez bien le parfum en question, l’odeur est-elle la même?
Pier-Louis Dumont insiste fortement sur ce point, il faut faire attention, car ces arnaques se multiplient et le phénomène devient de plus en plus inquiétant.
Caroline Chatelard, La Presse Canadienne