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L'ecstasy pourrait avoir protégé des survivants du massacre de Nova

durée 11h38
12 mars 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — La prise de substances comme l'ecstasy pourrait avoir conféré une certaine protection psychologique aux survivants du massacre du festival Nova, pendant lequel des militants du Hamas ont tué 364 personnes le 7 octobre 2023.

C'est l'hypothèse qu'examinent des chercheurs israéliens qui ont étudié la réaction psychologique de plus de 650 survivants. Les données de cette étude n'ont pas encore été dévoilées publiquement, mais les auteurs en ont récemment discuté avec la BBC britannique.

Les chercheurs ont constaté que les deux tiers de leurs sujets étaient sous l'influence de substances récréatives comme la méthylènediocyméthamphétamine (la MDMA, ou ecstasy), le LSD, la marijuana ou la psilocybine (l'ingrédient actif des champignons hallucinogènes) au moment de l'attaque.

La MDMA, si elle avait été prise seule, a apparemment offert la plus grande protection. Ceux qui en avaient consommé ont semblé avoir une meilleure santé mentale que les autres pendant les cinq mois après l'attaque.

Les scientifiques s'intéressent depuis longtemps à l'utilisation de la MDMA dans le traitement des traumatismes psychologiques, mais le massacre de Nova pourrait être la première occasion qu'ils ont d'étudier la réaction de centaines de personnes à un traumatisme de masse tout en étant sous l'influence d'une substance psychoactive.

«C'est une première évidence en temps réel», a dit le docteur Nicolas Garel, un spécialiste du Centre de recherches du CHUM qui étudie l'utilisation des substances psychoactives dans le traitement des problèmes de santé mentale.

«Dans un contexte de trauma, est-ce que la MDMA pourrait influencer la manière dont le trauma est encodé, comment il y a une adaptation post-traumatique? C'est très intéressant.»

Il est toutefois très difficile de déterminer comment ou pourquoi la MDMA aurait protégé certains festivaliers.

Une première hypothèse a été soulevée par une survivante, qui a raconté à la BBC qu'elle était tellement déconnectée de la réalité après avoir avalé de la MDMA que cela l'a empêchée de réaliser ce qui se passait autour d'elle. Michal Ohana a dit au média britannique que, sans l'ecstasy, elle aurait probablement figé avant d'être tuée ou capturée.

On peut toutefois aussi envisager que l'inverse se soit produit, à savoir que ces substances aient empêché certains participants au festival de réagir efficacement et de poser les gestes nécessaires pour survivre, ou encore que cela les ait poussés à prendre des risques inutiles ― une possibilité qu'il est impossible de vérifier, puisque ces victimes ne sont plus là pour raconter leur histoire.

C'est ce qu'on appelle le «biais du survivant», a dit le docteur Garel.

«Est-ce que les gens qui n'ont pas survécu ont pris plus de risques? Est-ce que cette personne-là, qui a survécu, a eu moins de comportements d'évasion qui auraient pu menacer sa survie? Comme on a n'a pas les données des gens qui n'ont pas survécu, c'est difficile à dire.»

D'autant plus, poursuit-il, qu'il y a toujours un risque de «distorsion» ou de «rationalisation a posteriori» quand on se remémore des événements. «On se dit que j'avais pris ces substances-là, puis dans le fond ça a peut-être aidé à cause de ceci ou de cela», a expliqué le docteur Garel.

Liens sociaux

Les auteurs de l'étude soulignent que la MDMA favorise la production de ce qu'ils qualifient «d'hormones sociales» comme l'ocytocine.

L'ocytocine, a dit le docteur Garel, est associée à l'attachement émotionnel et à une réduction de la réponse de peur.

«Dans une situation où les gens voient leur vie menacée, qui sont vraiment dans un état de stress, est-ce que c'est une substance ou un état qui aurait pu amener à un peu plus de coopération entre les individus, de support mutuel, pendant cette horreur-là?», a-t-il demandé.

La MDMA pourrait avoir rendu les survivants plus réceptifs à l'amour et au soutien de leur entourage après l'attaque. C'est important, poursuit le docteur Garel, parce qu'on sait que le soutien social est un facteur de protection important face au stress post-traumatique.

«Le fait d'avoir senti qu'on avait du support, et qu'on a du support, ça peut vraiment faire la différence entre le fait de développer un état de stress post-traumatique ou pas face à un trauma significatif», a-t-il dit.

D'un point de vue physiologique et médical, a ajouté le docteur Garel, on sait que la MDMA peut réduire la réactivité de l'amygdale, une structure du cerveau responsable de notre réponse face au stress (ce qu'on appelle en anglais la réaction 'fight or flight').

Il est donc possible que les festivaliers qui avaient consommé de la MDMA aient ressenti le danger et l'horreur autour d'eux avec moins d'intensité.

«Donc, une explication potentielle pourrait être que ça a empêché des attaques de panique, que ça a aidé les individus à rester un peu plus fonctionnels et concentrés, a dit le docteur Garel. Ils étaient moins paralysés par la peur, ce qui a mené à une meilleure impression de stratégies d'adaptation.»

Cette impression de compétence face à l'urgence est déterminante dans l'apparition, ou non, d'un état de stress post-traumatique, a-t-il ajouté. Les premiers répondants qui arrivent sur les lieux d'une situation d'urgence s'appuient sur leur formation et sur leurs protocoles, et le fait de se sentir «outillés» diminue le sentiment d'impuissance, ce qui diminue le risque de développer un état de stress post-traumatique, a cité en exemple le docteur Garel.

Stress post-traumatique

On dispose déjà de données qui montrent que la MDMA, dans le contexte d'une psychothérapie structurée avec plusieurs rencontres, peut être utile dans le traitement du trouble de stress post-traumatique, a dit le docteur Garel.

«C'est sûr qu'on est dans un contexte (de TSPT) un peu plus chronique, qui n'était pas nécessairement un trauma aigu comme au festival, mais on a en effet un peu de données probantes ou même de mécanismes neurobiologiques ou neurochimiques qui pourraient un peu expliquer ça», a-t-il complété.

Pour le moment, a dit le docteur Garel, on est loin d'avoir toutes les réponses et «on n'a pas encore de données probantes qu'une intervention en aigu va pouvoir changer la trajectoire de quelqu'un qui développe un état de stress post-traumatique comparativement à quelqu'un qui n'en développe pas un».

Mais il importe de continuer à chercher de nouveaux traitements pour ces patients dont les symptômes résistent aux thérapies traditionnelles, et les prochaines années nous diront quelle place ces molécules peuvent occuper dans l'arsenal thérapeutique, a-t-il conclu.

«Quelqu'un qui veut prendre ces substances-là de façon récréative versus quelqu'un qui veut en prendre pour s'auto-traiter, ce n'est pas la même chose, a rappelé le docteur Garel. Si des gens en prennent pour s'auto-traiter, ça peut les amener à ne pas consulter leur médecin et à ne pas s'enclencher dans des processus plus rigoureux. C'est là que ça peut devenir beaucoup plus dangereux.»

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne

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