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«Il avait un regard de fou», témoigne Patricia Tulasne au sujet de Gilbert Rozon

durée 15h56
12 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — C’est avec beaucoup d’aplomb que Patricia Tulasne a raconté, jeudi, les événements survenus dans la nuit du 27 au 28 août 1994, la nuit où elle allègue avoir été violée par le producteur déchu Gilbert Rozon.

Toutefois, lorsqu’est venu le temps d’aborder les conséquences de cet événement, sa voix s’est brisée à plusieurs reprises et les larmes sont venues accompagner son récit.

Les circonstances de l’agression présumée sont connues. Patricia Tulasne avait accepté que Gilbert Rozon la ramène chez elle après un souper soulignant la fin des représentations du Dîner de cons. Arrivée chez elle, elle a refusé qu’il monte chez elle, disant vouloir faire marcher son chien, mais il a insisté pour l’accompagner. Après une marche qu’elle a étirée durant «une heure, une heure et demie» dans l’espoir qu’il se lasse, elle a voulu entrer et il l’aurait suivie, malgré un deuxième refus.

«Ses yeux étaient des yeux de fou»

Il l’aurait d’abord plaquée sur le mur, détachant les boutons de sa robe. «J'ai croisé son regard et ses yeux étaient des yeux de fou. Ses yeux étaient exorbités. Il avait un regard de fou et j'ai eu très peur. Je me suis dit: il va me frapper. J'ai eu peur que ça se termine mal et je me suis dit: il vaut mieux que je me laisse faire, je vais me laisser faire, ça va être fini et il va partir».

«J'étais dans un état de confusion totale et de stupéfaction totale parce que c'était surréaliste, quand j’ai croisé son regard, je me suis dit: il va me frapper. J'ai eu peur de mourir.»

Le viol serait survenu dans sa chambre par la suite.

Patricia Tulasne dit avoir vécu dans un trou noir dans les jours suivants, de n’avoir aucun souvenir du lendemain ou du surlendemain ou des jours suivants. Les quatre années suivantes ont été extrêmement difficiles, selon son témoignage.

«Je me suis enterrée vivante»

Elle a raconté qu’après avoir joué dans un théâtre d’été à Sainte-Adèle en 1995, «à la perspective de devoir rentrer à Montréal et de me retrouver dans cet appartement, c'était trop pour moi, alors j'ai acheté une maison à Morin-Heights et puis je me suis enterrée vivante dans cette maison-là pendant quatre ans».

«La personne que j'étais avant 1994 a disparu. J'avais de l'ambition, j'avais le goût de vivre, j'étais bien, j'étais heureuse, j'avais une personnalité éclatante et puis après, j'ai commencé à m'éteindre. J'avais du mal à voir des gens. Je m'en voulais parce que je ne m'étais pas défendue. J'avais ce sentiment d'avoir été minable», a-t-elle affirmé, la voix chancelante.

«J'ai arrêté de voir des gens, j'ai arrêté de faire des démarches pour mon métier. je me suis mise à regarder la télé toute la nuit. Je me levais à midi le lendemain.»

Blessée par ses propos

Elle a dit avoir revu Gilbert Rozon une première fois en 2002, alors qu’elle participait à un sketch dans un gala du festival Juste pour rire, gala où le producteur n’était pas impliqué, mais celui-ci s’était présenté pendant la session d’essayage alors qu’on l’avait vêtue d’un flamboyant tailleur rose. Le producteur se serait alors exclamé: «mais qu'est-ce que c'est que ce costume? Tu as l'air d'une grosse pute rose.»

«Ça m'a vraiment blessée parce que je me suis dit: il m'a violée et voici qu'il me traite de grosse pute rose», a-t-elle laissé tomber en pleurant.

Bien qu’elle ait repris certaines activités au début des années 2000, sortant d’une profonde dépression avec l’aide d’une amie, elle a amorcé à ce moment une relation avec un homme, «une personne toxique, un batteur de femmes», avec qui elle a rompu après trois ans.

Seule et isolée

Depuis, a-t-elle dit, «je me suis complètement isolée. Je vis seule, je vis avec des animaux, j'ai peur des humains, particulièrement des hommes. Maintenant, sortir de chez moi, c'est une épreuve, vraiment. J'aimerais bien ne jamais sortir de chez moi.»

Son estime de soi s’est également effondrée à la suite des événements. «Je me suis rendu compte que je m'étais mise à me détester moi-même parce que je me disais que c'était mon comportement, mon apparence, tout ça, qui m'avait fait subir ce que j'avais subi.»

En 2017, elle a d’abord refusé d’accorder une entrevue à une journaliste de Radio-Canada, qui l’avait rejointe pour lui dire que son nom était sorti dans une enquête journalistique portant sur Gilbert Rozon. Toutefois, le lendemain matin, en entendant à la radio que huit ou neuf femmes dénonçaient le producteur de Juste pour rire, elle a dit avoir senti «un devoir de solidarité», après quoi elle a communiqué avec un avocat de l'Union des artistes.

«Je veux qu'il s'excuse»

C’est à partir de ce moment qu’elle s’est impliquée dans le dossier, devenant même porte-parole pour le groupe appelé «Les Courageuses».

«Je veux que M. Rozon sache ce qu'il nous a fait. Je veux qu'il reconnaisse qu'il a posé ces gestes-là. Je veux qu'il s'excuse et je veux qu'il sache qu'il a volé nos vies. Quand je repense à cette jeune femme de 35 ans que j'étais, avec toutes ces ambitions, cette joie de vivre et la femme que je suis devenue aujourd'hui qui n'a plus rien à voir, moi je considère qu'il m'a volé ma vie», a-t-elle déclaré à la fin de son témoignage. Le contre-interrogatoire devait suivre en après-midi.

Patricia Tulasne est la troisième des neuf présumées victimes de Gilbert Rozon à témoigner devant la juge Chantal Tremblay de la Cour supérieure dans la cause regroupant les neuf poursuites intentées contre celui-ci au civil. Mme Tulasne réclame 1,6 million $ en dommages-intérêts compensatoires et punitifs.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne

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