Haïti déclare l'état d'urgence et instaure un couvre-feu après l'assaut d'une prison
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Par La Presse Canadienne, 2024
PORT-AU-PRINCE, Haïti — Le gouvernement haïtien a déclaré l'état d'urgence et imposé un couvre-feu nocturne dimanche soir dans le but de reprendre le contrôle des rues après une explosion de violence par des membres de gangs armés qui ont pris d'assaut les deux plus grandes prisons du pays.
L'état d'urgence d'une durée de 72 heures est entré en vigueur dès que le gouvernement a annoncé qu'il se mettait à la recherche des tueurs, ravisseurs et autres criminels violents s'étant évadés de prison.
«La police a reçu l'ordre d'utiliser tous les moyens légaux à sa disposition pour faire respecter le couvre-feu et appréhender tous les contrevenants», a indiqué dans un communiqué le ministre des Finances, Patrick Boivert, qui exerce les fonctions de premier ministre par intérim.
Le premier ministre Ariel Henry s'est rendu à l'étranger la semaine dernière pour tenter d'amasser du soutien en faveur de l'intervention d'une force de sécurité soutenue par les Nations Unies pour stabiliser le pays plongé dans un conflit contre des groupes criminels de plus en plus puissants.
Le décret a mis fin à une fin de semaine meurtrière qui a conduit à un nouveau sommet de violence en Haïti. Au moins neuf personnes ont été tuées depuis jeudi – dont quatre policiers – alors que des gangs ont intensifié leurs attaques coordonnées contre les institutions de l'État à Port-au-Prince. Les cibles comprenaient des commissariats de police, l'aéroport international du pays et même le stade national de football.
L'assaut du Pénitencier national
Mais le siège, samedi soir, du Pénitencier national a été un choc même pour les Haïtiens habitués à vivre sous la menace constante de la violence. La quasi-totalité des quelque 4000 détenus s’est enfuie pendant l'évasion, laissant l'établissement normalement surpeuplé étrangement vide dimanche, sans gardien en vue, avec des sandales en plastique, des vêtements et des meubles éparpillés sur le patio en béton. Trois corps blessés par balle gisaient à l'entrée de la prison.
Dans un autre quartier, les cadavres ensanglantés de deux hommes, les mains liées dans le dos, gisaient face contre terre alors que les habitants passaient devant des barrages routiers dressés avec des pneus en feu.
Parmi les quelques dizaines qui ont choisi de rester en prison figurent 18 anciens soldats colombiens accusés d’avoir travaillé comme mercenaires lors de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse en juillet 2021. Au milieu des affrontements de samedi soir, plusieurs Colombiens ont partagé une vidéo plaidant pour leur vie.
«S'il vous plaît, aidez-nous s'il vous plaît», a lancé l'un des hommes, Francisco Uribe, dans le message largement partagé sur les réseaux sociaux. «Ils massacrent les gens sans discernement à l'intérieur des cellules.»
Dimanche, Uribe a avoué aux journalistes entrant avec désinvolture dans l'établissement normalement hautement surveillé qu'il n'avait pas fui parce qu'il était «innocent».
Le ministère colombien des Affaires étrangères a appelé Haïti à fournir une «protection spéciale» à ces hommes.
En l'absence d'informations officielles, les familles des détenus se sont précipitées à la prison pour vérifier si leurs proches allaient bien.
«Je ne sais pas si mon fils est vivant ou non», a confié Alexandre Jean alors qu'elle parcourait les cellules à la recherche de signes de lui. «Je ne sais pas quoi faire.»
Des attaques coordonnées
Les violences de samedi soir semblaient généralisées, plusieurs quartiers faisant état de coups de feu.
Une deuxième prison de Port-au-Prince contenant environ 1400 détenus a également été prise d'assaut. Des gangs armés ont également occupé et vandalisé le plus grand stade de football du pays, prenant un employé en otage pendant des heures, a indiqué la fédération haïtienne de football dans un communiqué. Le service Internet de nombreux résidents était en panne, le principal réseau mobile d'Haïti ayant déclaré qu'une connexion par câble à fibre optique avait été coupée lors du saccage.
En moins de deux semaines, plusieurs institutions étatiques ont été attaquées par des gangs, qui coordonnent de plus en plus leurs actions et choisissent des cibles autrefois impensables comme la Banque centrale. Dans le cadre d'attaques coordonnées de gangs, quatre policiers ont été tués jeudi.
Après que des gangs ont ouvert le feu à l'aéroport international d'Haïti la semaine dernière, l'ambassade américaine a annoncé qu'elle suspendait tous les voyages officiels vers le pays et a exhorté dimanche soir tous les citoyens américains à partir le plus tôt possible. L'ambassade a annoncé qu'elle annulerait également jusqu'à jeudi tous les rendez-vous consulaires.
L'administration Biden, qui a toujours refusé d'engager des troupes dans une quelconque force multinationale, offrant plutôt de l'argent et un soutien logistique, a déclaré qu'elle suivait avec une grande inquiétude la détérioration rapide de la situation en matière de sécurité.
Un responsable du Conseil national de sécurité a soutenu que la violence ne servait qu'à retarder une transition démocratique tout en détruisant la vie de milliers de personnes. Le responsable, qui s'est exprimé sous le couvert de l'anonymat, a réitéré que les États-Unis étaient favorables à la tenue d'élection, à la gouvernance inclusive et à la restauration de la démocratie en Haïti.
L'épicentre des dernières violences samedi soir était le Pénitencier national d'Haïti, qui détenait plusieurs chefs de gangs. Au milieu des échanges de coups de feu, la police a appelé à l'aide.
«Ils ont besoin d'aide», a écrit un syndicat représentant la police dans un message sur les réseaux sociaux accompagnés de l'émoji «SOS» répété huit fois. «Mobilisons l’armée et la police pour empêcher les bandits de s’introduire dans la prison.»
Les affrontements font suite à de violentes manifestations qui sont devenues encore plus meurtrières ces derniers jours lorsque le premier ministre s'est rendu au Kenya pour tenter de faire avancer une mission de sécurité soutenue par l'ONU en Haïti et dirigée par ce pays d'Afrique de l'Est.
Henry a pris ses fonctions de premier ministre après l'assassinat de Moïse et a reporté à plusieurs reprises les projets d'élections parlementaires et présidentielles, ce qui n'a pas eu lieu depuis près d'une décennie.
La police nationale d'Haïti compte environ 9 000 agents pour assurer la sécurité de plus de 11 millions de personnes, selon l'ONU. Elle est régulièrement submergée et dépassée par les gangs, dont on estime qu'ils contrôlent jusqu'à 80 % de Port-au-Prince.
Jimmy Chérizier, un ancien policier d'élite connu sous le nom de «Barbecue», aujourd'hui à la tête d'une fédération de gangs, a revendiqué la recrudescence des attentats. Il a déclaré que l’objectif était de capturer le chef de la police haïtienne et les ministres du gouvernement et d’empêcher le retour d’Henry.
Le premier ministre, neurochirurgien, a ignoré les appels à sa démission et n’a pas fait de commentaire lorsqu’on lui a demandé s’il pensait qu’il pouvait rentrer chez lui en toute sécurité.
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Les rédacteurs d'Associated Press Joshua Goodman à Miami, Seung Min Kim à Washington et Danica Coto à San Juan, Porto Rico, ont contribué à ce rapport.
Evens Sanon et Pierre-richard Luxama, The Associated Press