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Ghana: un projet de loi anti-gai menace la jeune démocratie, selon des militants

durée 06h00
1 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

9 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

ACCRA — Frank a des souvenirs dérangeants chaque fois qu'il voit un policier.

En tant que membre du groupe LGBT+ Rights Ghana, il savait que la police pouvait intimider les gens pour obtenir des pots-de-vin ou tenir des propos homophobes. Mais il ne savait pas que la police pouvait entrer chez lui sans mandat, arrêter tout le monde pour son appartenance à la communauté LGBTQ+ et se vanter de s'attendre à une prime pour le faire.

«Cela montre à quel point les choses vont loin dans ce pays», a déclaré Frank, qui a demandé que son vrai nom ne soit pas publié pour des raisons de sécurité.

La Presse Canadienne s'est rendue au Cameroun dans le cadre d'une série d'enquêtes sur le recul mondial des droits LGBTQ+ et les conséquences pour le Canada, notamment l'impact de cette tendance sur les institutions démocratiques.

Plus tôt cette année, le parlement ghanéen a adopté un projet de loi qui criminalise le fait de s'identifier comme LGBTQ+.

Cette loi est similaire à celles déjà en vigueur en Ouganda et en Russie, et a été adoptée après une campagne orchestrée par des groupes évangéliques américains pour que le Ghana aille au-delà des lois existantes interdisant les relations sexuelles anales, qui étaient rarement appliquées.

La Cour suprême du pays examine actuellement si la loi adoptée par les députés en février est conforme à la constitution du pays. Elle est devenue une pomme de discorde lors des élections générales du pays, qui auront lieu le 7 décembre.

Des principes démocratiques menacés

Le projet de loi du Ghana n'a pas encore été adopté, mais il change déjà la vie des habitants du pays, qui se targue d'être le premier État d'Afrique subsaharienne à avoir obtenu son indépendance de la colonisation européenne, et un bastion de la démocratie en Afrique de l'Ouest où d'autres pays sont confrontés à de fréquents coups d'État.

«Le Ghana a un solide bilan démocratique, peut-on lire dans le profil du pays d'Affaires mondiales Canada. Le paysage politique ghanéen se caractérise entre autres par la liberté d’expression, une presse dynamique et une société civile active.»

Et pourtant, les groupes de défense des droits de la personne craignent que tous ces principes soient menacés.

Les difficultés économiques ont créé un terrain fertile pour que les évangéliques américains sèment les graines du sentiment anti-LGBTQ+, encouragés par des politiciens confrontés à une population en colère.

«Nous sommes en train d’être recolonisés, sans que nous reconnaissions que nous alimentons un programme qui n’est pas sain pour notre jeune démocratie et pour la cohésion sociale», a déclaré Audrey Gadzekpo, qui préside le Centre pour le développement démocratique du Ghana.

Arrêtés parce qu'ils étaient gais

Pour Frank, le sentiment que son pays a mal tourné a commencé un soir à la fin de l’année dernière. Sa colocataire transgenre a été arrêtée par la police à l’un des points de contrôle routiers courants au Ghana, similaires aux contrôles pour conduite avec facultés affaiblies au Canada.

Son apparence a éveillé des soupçons et les policiers ont fouillé son sac pour trouver des pilules hormonales qu’ils croyaient être des drogues illicites.

Les policiers l’ont emmenée dans la maison qu’elle partage avec Frank et d’autres personnes LGBTQ+ et ont exigé qu’elle entre, surtout après avoir vu des drapeaux arc-en-ciel sur le mur derrière la personne qui a ouvert la porte.

Une vidéo, filmée cette nuit-là par l'un des résidants et que La Presse Canadienne a pu visionner, montre un policier ghanéen portant un chapeau à larges bords, disant aux cinq personnes présentes dans la maison qu'il est illégal d'être gai.

Frank dit que l'agent s'est vanté qu'il obtiendrait probablement une prime pour avoir arrêté des homosexuels en vertu du nouveau projet de loi. Le groupe est resté dans une cellule de détention pendant la nuit, jusqu'à l'arrivée des procureurs et la libération du groupe parce qu'ils n'avaient commis aucun crime.

Alex Kofi Donkor, le responsable de LGBT+ Rights Ghana, a déclaré que les contrecoups avaient commencé sérieusement avec une conférence organisée au Ghana en 2019 par le Congrès mondial des familles, un groupe évangélique basé aux États-Unis.

Selon les informations des participants à la conférence, les intervenants ont averti que l'éducation sexuelle dans les écoles et l'homosexualité étaient des complots occidentaux pour dépeupler les pays africains et importer des croyances impies.

Un centre d'aide controversé

En janvier 2021, le groupe de M. Donkor a ouvert un centre de ressources, avec l'idée d'avoir un espace physique où les minorités sexuelles et de genre pourraient trouver du soutien face à la discrimination généralisée.

M. Donkor espérait que les personnes renvoyées de leur emploi ou de leur école puissent trouver un recours juridique, ainsi que des ressources pour les aider à trouver de nouvelles opportunités.

Quelques dizaines de personnes sont venues pour l'ouverture du centre, dont les ambassadeurs du Danemark et de l'Australie.

Trois semaines plus tard, des photos de l'événement ont fait la une des journaux.

Les radios parlées ont dénoncé les ambassadeurs étrangers qui essayaient de rendre les Africains gais. Un bol de préservatifs – ce qui est courant dans les centres de santé sexuelle – a été présenté comme la preuve d'une orgie. La police de la sécurité nationale a fait une descente dans le centre, tandis que des foules en colère ont pris d'assaut les locaux d'autres groupes censés soutenir les personnes LGBTQ+.

M. Donkor a proposé des entrevues aux médias locaux, qu'il a accusés d'ignorer ses demandes ou de poser des questions sensationnalistes.

«Nous avons vraiment pris conscience de la profondeur de ce à quoi nous sommes confrontés», a-t-il confié.

Après avoir été intimidé lors d'événements publics, le groupe de M. Donkor se limite à des randonnées dans la campagne ou à des événements comme des lectures de livres dans des lieux secrets.

Une crise économique en cours

M. Donkor et Mme Gadzekpo craignent tous deux que le Ghana ne traverse une nouvelle crise économique comme celle qu'il a connue au début des années 1980, lorsque des milliers de personnes ont fui pour trouver du travail à l'étranger et que la sécheresse a provoqué une famine généralisée. À l'époque, les missionnaires évangéliques américains ont répandu le message selon lequel les relations sexuelles hors mariage étaient à l'origine de l'effondrement financier et écologique.

Dans les années 1990, la religion était toujours influente, mais la république était strictement laïque.

Aujourd'hui, le Ghana est confronté à sa pire crise économique depuis une génération.

Michaela Gyatsen, responsable d'un collectif d'artistes féministes à Accra, affirme que les jeunes ne trouvent pas d'emploi, que la vie est devenue inabordable et que la police a dispersé des manifestations réclamant de meilleures conditions économiques.

«Nous ne connaissons aucun système de recours, nous sommes donc frustrés (et) fatigués», a-t-elle déclaré.

La pandémie de COVID-19 a entraîné une crise de la dette dans la majeure partie de l'Afrique, ce qui a conduit de nombreux pays à dépenser plus en paiements d'intérêts qu'en santé et en éducation. Les événements météo liés au changement climatique ont affecté la production de cacao au Ghana, faisant grimper les prix mondiaux du chocolat.

Et le projet de loi anti-gai pourrait aggraver les choses.

La Banque mondiale a gelé les nouveaux prêts à l'Ouganda après que ce pays eut adopté sa propre loi criminalisant les identités LGBTQ+. Cette loi a provoqué une augmentation du nombre de demandeurs d'asile ougandais de la communauté LGBTQ+ ainsi que la fermeture de certaines cliniques spécialisées dans le VIH.

Ce printemps, le ministère des Finances du Ghana a divulgué sa recommandation interne selon laquelle le gouvernement devrait reporter l'adoption de son projet de loi jusqu'à ce que le long examen judiciaire ait lieu. Le document avertit que le Ghana perdrait probablement 3,8 milliards $ US de fonds de la Banque mondiale, ce qui ferait dérailler une restructuration massive de la dette du Fonds monétaire international.

En raison d'une situation financière déjà désastreuse, Mme Gyatsen a remarqué que les prédicateurs imputent les difficultés économiques du Ghana aux personnes LGBTQ+ comme boucs émissaires, et que les politiciens évoquent le projet de loi lorsque des politiques impopulaires prennent forme, comme les hausses d'impôts.

Changement culturel contre les minorités

Elle dit qu'il y a eu un changement culturel dans le pays, où les gens se sentent encouragés à harceler ceux qui se démarquent et à diriger leur frustration contre les minorités.

«L’histoire le prouve chaque fois. La façon la plus simple de commettre un génocide ou un crime est de priver d’humanité les personnes ciblées. Et c’est ce que nous voyons actuellement au Ghana», a prévenu Mme Gyatsen.

Kwaku, qui a demandé que son vrai nom ne soit pas publié pour des raisons de sécurité, décrit le harcèlement dans la rue et les regards noirs de commerçants autrefois bavards.

Quand ses amis arrivaient en ville, il y avait une vendeuse de fruits qui complimentait toujours ses tenues audacieuses, qu’il s’agisse d’un débardeur à paillettes ou de talons roses vifs. Aujourd’hui, la femme évite tout contact visuel.

Alors qu’il portait un jean à pattes d’éléphant et un débardeur en tricot dans un marché central, un passant l’a averti que le chef de la police allait venir chercher les personnes LGBTQ+.

Le groupe d'Audrey Gadzekpo entend bien pire.

«C’est comme une chasse ouverte contre les personnes LGBTQ+. Nous recevons des informations selon lesquelles elles sont attaquées, appâtées, soumises à du chantage, blessées, simplement parce qu’elles sont qui elles sont – ou même parce que des gens soupçonnent ce qu’elles sont.»

Elle qualifie le projet de loi d’insidieux, car il oblige les parents, les enseignants, les voisins et les propriétaires à signaler toute activité homosexuelle présumée.

«Le projet de loi impose à tout le monde la responsabilité de dénoncer les gens», a-t-elle déclaré, ajoutant que cela aura pour effet de nuire à la cohésion sociale.

Un large soutien dans les médias

Pourtant, ce point de vue est rare sur les ondes ghanéennes. Ce que l’on appelle souvent simplement «le projet de loi» bénéficie d’un large soutien dans les émissions de radio-débat qui dominent le secteur des médias ghanéens.

Le groupe de Mme Gadzekpo a rencontré des dizaines de journalistes au sujet du projet de loi avant son adoption et a découvert qu’une petite minorité avait effectivement lu le texte, malgré la publication de dizaines d’articles à ce sujet.

Au lieu de cela, les médias divulguent les noms des personnes accusées d’être LGBTQ+ et mettent fréquemment en garde contre la perspective de mariages homosexuels, bien qu’ils ne soient pas légaux au Ghana.

Par exemple, un article de mars 2023 sur le site d'information numérique populaire GhanaWeb racontait que la police militaire armée avait pris d'assaut une fête LGBTQ+.

«Selon des témoins oculaires, bien qu'il s'agisse d'une fête, elle aurait pu se transformer en cérémonie de mariage s'il n'y avait pas eu d'intervention», peut-on lire dans l'article.

Les journaux ont publié des enquêtes douteuses, comme un article de février 2022 du journal Vanguard affirmant que des homosexuels recrutaient des adolescents en distribuant des ordinateurs portables avec de la pornographie préinstallée.

Le projet de loi proposé rendrait illégale la publication d'opinions considérées comme prônant l'homosexualité et démantèlerait les organisations de défense des droits LGBTQ+.

«Nous sommes une jeune démocratie», a déclaré Mme Gadzekpo, qui est professeure de journalisme à l'Université du Ghana.

«Nous devons approfondir la pratique démocratique. Ce projet de loi va à l’encontre de cela; il ne nous aide pas à être tolérants envers la différence.»

Elle estime que la «panique morale» du Ghana face à l’homosexualité détourne l’attention des problèmes qui touchent les femmes, comme l’augmentation documentée des grossesses chez les adolescentes et ce que l’Association pédiatrique du Ghana qualifie «d’acceptation perçue des mariages d’enfants».

Le Canada témoigne ses inquiétudes

Le haut-commissariat du Ghana à Ottawa n'avait pas répondu à une demande d'entrevue avant la publication de cet article, et le haut-commissariat du Canada au Ghana a refusé un entretien. Mais Ottawa a fait part de ses inquiétudes concernant le traitement réservé par le Ghana aux personnes LGBTQ+ dans sa soumission à l’examen récurrent des droits de la personne au Ghana par les Nations unies en juin 2023.

Le projet de loi a occupé une place importante au cours de ce processus, où 22 pays, dont le Canada, ont officiellement appelé le Ghana à mieux protéger les personnes LGBTQ+. Le pays a rejeté chacune de ces demandes, insistant sur le fait que, malgré le projet de loi, le Ghana n’avait jamais approuvé le fait d’infliger des préjudices aux minorités et «abhorrait toute forme de violence ou de brutalité contre tout groupe».

Avec la montée de la haine, on demande fréquemment à Alex Kofi Donkor s’il demandera l’asile à l’étranger. Il s'est rendu au Canada et au Danemark pour diverses conférences, mais a déclaré que l'idée de présenter une demande d'asile est douloureuse, car cela signifierait abandonner l'espoir d'un avenir meilleur au Ghana.

«Je veux juste me donner une chance de croire en l'humanité», a-t-il conclu.

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Cet article fait partie d’une série de huit reportages d'enquête sur le recul des droits des personnes LGBTQ+ en Afrique, et sur les conséquences pour le Canada en tant que pays doté d’une politique étrangère ouvertement féministe, qui accorde la priorité à l’égalité des genres et à la dignité des personnes. Ces reportages au Ghana, au Cameroun et au Kenya ont été réalisés grâce au soutien financier de la bourse R. James Travers pour correspondants étrangers.

Dylan Robertson, La Presse Canadienne

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