Gestion de l'offre: le Bloc ne s'attend pas à être fixé d'ici à la fin janvier
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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Le Bloc québécois s'attend désormais à ce que son projet de loi visant à exclure la gestion de l'offre de toute négociation commerciale ne soit «réalistement» adopté qu'à partir de la fin janvier.
La pièce législative est toujours à l'étude au Sénat et le déroulement des derniers jours a plombé l'optimisme «raisonnable» exprimé il y a trois semaines par le parti d'opposition. Le Bloc avait alors confiance que sa proposition législative, C-282, devienne réalité avant la relâche parlementaire des Fêtes.
«On est toujours susceptibles de tomber en élection à tout moment, donc on veut le faire adopter le plus rapidement possible», a dit vendredi, en entrevue, le député et porte-parole bloquiste sur ce dossier, Yves Perron, pour traduire le sentiment d'urgence de sa famille politique.
Il ne reste que trois jours de séance prévus au Sénat avant que la Chambre haute ne mette ses travaux en veilleuse jusqu'au 27 janvier, selon le calendrier affiché en ligne.
Le Bloc et des sénateurs s'attendaient, cette semaine, à ce qu'un vote permettant de faire cheminer C-282 survienne jeudi soir, mais cela ne s'est finalement pas produit. Cette étape est l'avant-dernière du processus législatif au Sénat pour le projet de loi.
«Il aurait été fortement souhaitable de l'adopter avant Noël et j'espère que ça se peut encore, mais force est de constater que ça n’arrivera probablement pas», a laissé tomber M. Perron.
Il se garde toutefois bien de déclarer que l'adoption est impossible. «Le Sénat est capable de beaucoup de contorsions et de p'tits miracles», a dit l'élu, ajoutant toutefois croire que, «réalistement», «ça va aller plus au retour» de la pause des Fêtes.
Possible ajournement hâtif
Le sénateur conservateur Claude Carignan, qui est en faveur de la proposition bloquiste, évalue aussi que les chances sont minces pour un dénouement autre.
Il a indiqué à La Presse Canadienne être sous l'impression que le Sénat décidera, dans les faits, d'ajourner ses travaux un ou deux jours plus tôt que prévu.
Ainsi, la seule voie de passage pour accélérer le processus législatif restant serait, selon lui, qu'une motion à consentement unanime puisse être proposée et adoptée mardi par l'ensemble des sénateurs. Or, C-282 ne fait pas consensus à la Chambre haute.
«Les chances sont élevées que quelqu'un ne donne pas son consentement malheureusement, mais, ceci dit, ça peut passer pareil. Je spécule», a-t-il soutenu.
Les sénateurs ont commencé à débattre, il y a plus de trois semaines, de la pertinence d'un amendement majeur à la proposition bloquiste. Ces délibérations portent sur ce qui s'appelle, dans le jargon parlementaire, l'étape du rapport, puisque la modification est contenue dans un document produit par le comité sénatorial s'étant penché sur C-282.
L'amendement débattu aurait pour effet de rendre la pièce législative inopérante dans le cas de tous pourparlers impliquant un traité commercial préexistant. Dans la même veine, la renégociation d'un accord déjà établi ou la poursuite d'une négociation qui avait déjà été entamée seraient aussi exemptées.
Ainsi, le réexamen prévu en 2026 de l'Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) ne serait pas assujetti à C-282.
De nombreux agriculteurs craignent que des brèches soient faites, à ce moment-là, dans le système de gestion de l'offre, qui vise notamment à stabiliser le prix au niveau des produits laitiers et de la volaille. «(Il) consiste à coordonner la production et la demande tout en contrôlant les importations afin d’établir un prix stable, autant pour les agriculteurs que pour les consommateurs», résume la Bibliothèque du Parlement.
Le retour de Donald Trump
Tant les partisans que les opposants de l'amendement sont motivés, dans leurs convictions, par le contexte particulier de la réélection de Donald Trump. Sous sa première administration, le président désigné avait entraîné le Canada dans de difficiles négociations ayant mené à l'ACEUM puisqu'il reniait sa mouture précédente, connue sous son acronyme de l'ALENA.
«Je pense que l'élection de M. Trump rend encore plus impératif que nous n'agissions pas de façon provocatrice, mais plutôt que nous calmions le jeu dans les négociations», a dit vendredi l'auteur de l'amendement, le sénateur Peter Harder.
Il estime que cela empêcherait d'«enflammer inutilement l'inévitable réexamen de l'ACEUM».
À l'inverse, la marraine du projet de loi au Sénat, Amina Gerba, croit que le contexte du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche rend le rejet de l'amendement essentiel.
Elle est convaincue que le changement voulu par le sénateur Harder rendrait «le projet de loi au mieux symbolique et au pire complètement inefficace».
«Querelle procédurale»
M. Harder espérait pouvoir prononcer mardi soir un discours qui aurait clôturé les trois semaines de débat sur la pertinence de son amendement. Un vote aurait ainsi pu survenir, ce qui n'aurait laissé que l'ultime étape de la troisième lecture.
Or, le membre de la Chambre haute explique qu'une «querelle procédurale» est survenue entre le Groupe des sénateurs indépendants (GSI) et ceux affiliés au Parti conservateur autour d'un tout autre projet de loi.
Le bloquiste Yves Perron juge que les sénateurs conservateurs ont plutôt usé de «manœuvres d'obstruction» délibérées pour empêcher d'en arriver à C-282, qui était plus loin dans l'ordre du jour.
«C'est complètement faux», a répliqué le sénateur Carignan. Il a affirmé que le projet de loi gouvernemental qui a été source de discorde «avait des problèmes de linguistique».
«Il y avait des problèmes de contradiction entre l'anglais et le français à l'intérieur même du projet de loi et (les sénateurs du GSI), nommés par Justin Trudeau, voulaient absolument faire adopter ce projet de loi malgré les lacunes», a-t-il dit.
La pression sur le Sénat concernant C-282 est forte en provenance des députés qui s'impatientent, et pas seulement les bloquistes.
Lorsque la Chambre des communes a donné leur sceau d'approbation final au projet de loi, en juin 2023, la totalité des néo-démocrates a appuyé le Bloc, de même que presque tous les libéraux et plus de la moitié des conservateurs.
Émilie Bergeron, La Presse Canadienne