Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

Des intervenantes se sentent impuissantes face à la crise en itinérance

durée 10h00
21 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
durée

Temps de lecture   :  

7 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — On n'aura sûrement jamais vu autant de personnes en situation d'itinérance occuper des tentes en hiver à Montréal, selon une travailleuse sociale. Des intervenantes rencontrées par La Presse Canadienne partagent leur sentiment d'impuissance alors que la situation est de plus en plus difficile pour cette population.

Les refuges sont bondés et les haltes chaleurs — qui contiennent uniquement des chaises et non des lits — fonctionnent aussi au maximum de leur capacité. Entre errer dans les stations de métro ou dormir debout dans les restaurants ouverts 24h, plusieurs personnes itinérantes décident de s'abriter dans une tente, qui offre au moins une certaine stabilité.

«Je ne sais pas comment ça va se vivre cet hiver. Ça va être le premier hiver de cette ampleur parce que les autres années, il y avait des campements, mais plus le temps avance… quand décembre arrive, il y en a qui disparaissent. Et en janvier, il n'y a presque plus de tentes. Mais cette année, compte tenu qu’il n’y a pas d’autres options… ils n’auront pas le choix de rester», a soulevé la travailleuse sociale Stéphanie Lareau.

Elle travaille auprès de la clientèle itinérante depuis 20 ans à Montréal et c'est le premier hiver où elle voit autant de tentes malgré les premières neiges. «Ça va être la première année pour moi qu’il y en a autant et qu’il y a peu de places. Dès août, j’appelais dans des refuges et c’était plein à tous les jours. Ça n’arrivait pas avant ça», expose-t-elle.

Des conséquences dramatiques se font déjà sentir. Le 15 décembre dernier, un homme de 55 ans sans domicile fixe a été retrouvé mort dans un parc de l’arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal. Il serait possiblement mort d'hypothermie, selon les autorités, ce qu'une autopsie pourra confirmer.

Alison Meighen-Maclean, qui est spécialiste en activités cliniques depuis 10 ans avec l'équipe proximité/itinérance au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal, souligne l'urgence d'agir. «Avec la période hivernale, c’est sûr que ça nous prend des toits sur la tête, des endroits chauds où on peut idéalement dormir parce qu’une halte chaleur, à la base, c’est pensé pour ‘’je m’assois là parce que je n’ai pas envie de rester au refuge. Je vais venir me reposer un peu et je repars’’. Mais là, c’est rendu des salles d’attente pour avoir accès à un cubicule, à un lit. Ç'a changé de mission parce qu’il y a tellement une demande forte.»

1000 itinérants sont sortis de la rue

Au début du mois de décembre, le gouvernement du Québec a déclaré qu'il avait sorti 1000 personnes de l'itinérance dans la dernière année sur les 10 000 sans-abris que recense la province. Ce dénombrement qui se passe un seul soir à travers plusieurs villes du Québec a été fait pour la dernière fois en 2022. Un nouveau décompte est prévu en janvier 2025.

Les 1000 sans-abris dont le gouvernement parle sont des personnes qui ont été amenées vers du logement privé avec le Programme Bienvenue. Le ministre des Services sociaux, Lionnel Carmant, a expliqué d'où venait ce chiffre. «La Mission Bon Accueil dit avoir complété 400 mises en logement. Nous, avec le logement supervisé et le logement de transition, on a ouvert au-dessus de 700 portes de logement à travers le Québec, mais principalement à Montréal», détaille-t-il.

M. Carmant s'est dit fier d'un récent programme lancé par son gouvernement: le PRISM (Projets de réaffiliation en itinérance et en santé mentale). «Là, on a dit que pour Montréal on sortirait 200 personnes de l’itinérance par année. Avec un lit garanti au niveau d’un refuge, on leur donne des services de santé mentale pendant 8 à 12 semaines et par la suite, on les accompagne en logement», indique-t-il. Les organismes Diogène et Mission Bon Accueil sont mandatés pour ce projet. «Les deux me disent pouvoir loger 100 personnes par année», spécifie M. Carmant.

Crise du logement et évictions

Mme Meighen-Maclean est d'avis que la crise du logement et celle de l'itinérance sont reliées.

«Dans le marché actuel, c’est de revenir dans le marché [du logement] une fois que tu t’es fait rejeter qui est très difficile. Tout le monde qui travaille avec la clientèle itinérante, on vit tellement d’impuissance au quotidien. Il y a beaucoup beaucoup d’embûches dans le parcours vers le retour à l’hébergement», déplore Mme Meighen-Maclean.

Sur le terrain, elle rencontre beaucoup de personnes qui en sont à leur premier épisode d'itinérance. Par exemple, plusieurs arrivaient à survivre avec un chèque d'aide sociale, mais tout à coup, ils se font évincer d'un appartement abordable ou encore ils perdent leur emploi. «Après ça, de réintégrer le marché, c’est presque impossible dans le marché actuel», dit-elle.

Sa collègue Laurie Mercure, chef de service troubles concomitants, dépendance et itinérance au CIUSSS de l'Est-de-l'Île-de-Montréal, souligne que les facteurs qui mènent à l'itinérance sont multiples. «On parle de pénurie de logements, de l’augmentation des loyers, la rénoviction – on en entend de plus en plus parler – les évictions, la disparition des maisons de chambre, le manque d’espace dans les organismes pour les femmes victimes de violence, etc.», énumère-t-elle.

Mme Lareau fait un constat similaire. «C’est sûr qu’il y a une grande augmentation, ça a commencé un peu durant la pandémie. On voit aussi différents profils de personnes qu’on ne voyait pas nécessairement il y a 15 ans», soutient-elle, en donnant l'exemple des personnes âgées qui ont été victimes de rénoviction. «Parfois, ils ne connaissent pas vraiment les lois ou leurs droits, alors ils se font un peu avoir là-dedans.»

Le ministre Carmant fait valoir que le Plan d’action interministériel en itinérance 2021-2026 est passé d'un budget de 280 millions $ sur cinq ans à 410 millions $. «Cette année, on a ajouté un autre 15 millions $ et avec l’investissement fédéral, ça va être un autre 25 millions $ pour les deux prochaines années. Donc, on a bonifié le plan à plusieurs reprises, tant les mesures d’urgence que les mesures d’hébergement accompagné depuis le dépôt du plan. Et c’est un travail qui est en continu», affirme-t-il.

M. Carmant affirme qu'il veut davantage de logements supervisés dans les prochaines années. «On parle beaucoup des refuges, mais on a beaucoup de personnes qui sont encore dans des refuges après 12, 18, 24 mois. Le but du refuge, c’est de réaffilier et d’amener vers le logement», indique le député de Taillon.

«Quand les gens quittent le refuge, pour s’assurer qu’ils ne retombent pas dans l’itinérance, on les met en logement, soit de façon transitoire dans des maisons de chambre ou des petits appartements pour qu’ils commencent à reprendre leurs habitudes de logement. Par la suite, lorsqu’ils sont prêts à y aller plus autonome, on les met dans ce qu’on appelle du logement supervisé où là, ils ont leur propre cuisine… il n’y a pas d’espaces communs, c’est vraiment comme un appartement», décrit M. Carmant.

Mme Mercure admet qu'il y a «de beaux programmes pour l’accès au logement», par contre, elle déplore qu'ils ne soient pas accessibles pour tous. «Si quelqu’un est en perte d’autonomie, souvent, ce n’est pas accessible, il n’y a pas d’appartement disponible pour eux. Et on en a de plus en plus des personnes âgées en perte d’autonomie. Ceux qui ont des animaux ne réussissent pas à accéder non plus et les couples. Ce sont des enjeux qui font qu’on n’arrive pas à les amener dans une seconde étape.»

Elle souhaite que le gouvernement se penche sur la question de rendre les logements mieux adaptés pour les personnes en perte d'autonomie et d'accepter les animaux qui sont souvent considérés comme un proche pour les sans-abris.

Accès aux soins

Dernièrement, la crise de l'itinérance s'est étendue aux plus petites villes. Le ministre Carmant reconnaît que la situation est inquiétante. «On a annoncé des refuges un peu partout à travers le Québec pour s’assurer qu’on ait des ressources partout. [...] Si j’ai ouvert un refuge à Dolbeau, qui est une très petite municipalité, c’est qu’il y a des besoins partout au Québec», mentionne M. Carmant. Il estime que c’est important de garder une personne dans sa communauté parce que ce sera ainsi plus facile de la sortir de l'itinérance.

Mmes Meighen-Maclean, Mercure et Lareau ont toutes fait valoir que les organismes communautaires et les travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux font de petits miracles avec les moyens du bord.

Certes, l'accès au logement est difficile pour les usagers, mais leur quotidien est parsemé de petites victoires. Toute l'année, les intervenants s'affairent à créer une relation de confiance avec les personnes itinérantes pour qu'elles soient ouvertes à accepter de l'aide.

Grâce aux services offerts, plusieurs personnes en situation d'itinérance vont recevoir leur carte d'assurance maladie qui va souvent constituer leur seule pièce d'identité.

L'Équipe de proximité en itinérance va aussi déployer des infirmières sur le terrain. «Je pense qu’on peut prévenir la détérioration de l’état de la personne en allant dans son milieu. Peu importe que ça soit un refuge ou un campement, avec un soin infirmier on peut peut-être éviter une hospitalisation, un voyage à l’urgence. On peut aussi gérer des crises. Plutôt que générer un appel au 9-1-1 et un transport, on arrive à désamorcer. C’est une plus-value pour le réseau», soutient Mme Meighen-Maclean.

L'un de ses objectifs est de diriger et accompagner les personnes itinérantes vers le soin adapté pour elles. «On travaille fort là-dessus à essayer de collaborer avec les autres programmes et services du réseau pour permettre aux usagers d’avoir les mêmes services au même titre [que le reste de la population], indique Mme Meighen-Maclean. On voit de l’amélioration dans l’accès aux services. Mais ce n’est pas parfait, il reste encore du travail à faire.»

Le contenu en santé de La Presse Canadienne obtient du financement grâce à un partenariat avec l’Association médicale canadienne. La Presse Canadienne est l’unique responsable des choix éditoriaux.

Katrine Desautels, La Presse Canadienne

app-store-badge google-play-badge