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Travaux d'ADM: des groupes dénoncent «l'inquiétante discrétion» des consultations

durée 04h30
1 août 2025
La Presse Canadienne, 2025
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6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Des chantiers majeurs sont prévus sur les terrains de l’aéroport Montréal-Trudeau dans les prochains mois et les prochaines années, et des groupes de citoyens déplorent «l’inquiétante discrétion» dans laquelle se font des consultations publiques relatives à cette expansion. Ils craignent aussi l’impact que les projets pourraient avoir sur des milieux à haute valeur écologique et des espèces menacées au nord de l’aéroport.

Les travaux prévus à l’aéroport Montréal-Trudeau et ses environs dans les prochaines années sont estimés à 10 milliards $.

Ces travaux incluent une nouvelle jetée satellite qui sera construite au nord de l’aérogare actuelle et qui pourra accommoder jusqu'à 24 avions supplémentaires.

Dans une décision publiée le 30 juillet, les autorités de l’aéroport ont déterminé que ce projet «n’est pas susceptible d’entraîner des effets négatifs sur l’environnent».

Mais Katherine Collin, présidente de Technoparc Oiseaux, qui milite depuis des années pour protéger la biodiversité des terrains situés au nord de l’aéroport, déplore «un manque de transparence, un manque de consultation adéquate et un manque de compréhension de l’urgence de la situation climatique et de la crise de la biodiversité».

Un secteur à haute valeur écologique

Une partie du secteur au nord de l’aéroport, à cheval entre les arrondissements de Dorval et Saint-Laurent, est composée de friches, de marais, d'étangs et de boisés où vivent, en milieu urbain, des renards, des coyotes et même des castors.

Plus de 222 espèces d'oiseaux ont également été répertoriées dans ce secteur très prisé des ornithologues. On y trouve également le «champ des monarques», qui contient des milliers de plants d'asclépiades, essentiels à la reproduction des papillons monarques, une espèce en voie de disparition.

«Malheureusement», a souligné l’environnementaliste, dans la décision publiée le 30 juillet, «il n’est pas écrit précisément» où la nouvelle jetée satellite sera construite» et «quelle sera son étendue», alors «c’est préoccupant», car «des milieux naturels et des milieux hydriques et humides sont répartis dans tout le secteur».

Effectivement, la décision rendue le 30 juillet n’indique pas l’endroit précis où la jetée «pouvant accommoder jusqu'à 24 avions» sera construite.

Dans un échange de courriels avec La Presse Canadienne, le conseiller en relations médias d'Aéroports de Montréal (ADM), Eric Forest, a précisé que la jetée sera construite sur l’ancienne piste d’atterrissage 10-28 «dans un environnement anthropique, non naturel, et ne posent aucun enjeu environnemental».

Si la construction de la jetée ne pose pas de risque à l’environnement, «pourquoi il y a toute une litanie de mesures pour mitiger les impacts négatifs sur l’environnement dans l’avis de décision?» s'est demandé Katherine Collin.

Dans l’avis de décision, ADM a écrit que «la construction d'une jetée satellite sur le site de YUL n'est pas susceptible d'entraîner des effets négatifs importants sur l'environnement en appliquant les mesures d'atténuation prévues au projet».

Des dizaines de mesures d’atténuation sont énumérées dans l’avis publié le 30 juillet, notamment, «éviter les travaux (défrichage, contrôle de végétation) durant la période de nidification (mi-avril à fin août)» et «ne pas endommager les secteurs où quelques plants d'asclépiades ont été observés», ou encore «vérifier la présence d'espèces à statut particulier et appliquer les réglementations en vigueur».

ADM compte aussi déplacer des poissons, si nécessaire, «installer des bacs récupérateurs étanches sous les petits appareils à hydrocarbures» ou encore «utiliser des huiles biodégradables pour les équipements à moins de 30 m d'un cours d'eau», «prévoir des trousses de récupération d'hydrocarbures accessibles sur tous les secteurs de travaux» et «appliquer la procédure d'urgence» en cas d'incident.

«Ces mesures d’atténuation sont préventives, car à terme, les travaux n'auront pas d'impact sur le cours d'eau», a indiqué Eric Forest dans un courriel.

Malgré les explications du porte-parole d’ADM, pour la présidente de Technoparc Oiseaux, «le projet reste très vague» et «la longue liste de mesures de mitigation semble un gabarit pour des projets à venir».

Un pôle de décarbonation dans le secteur du champ des monarques

L’une des plus grandes préoccupations du groupe de citoyens qu’elle représente, «c'est que le plan directeur d’ADM est très clair, il souhaite développer et aménager et raser la vaste majorité des milieux naturels et espaces verts qui sont sur les terres domaniales (qui appartiennent à l’État)».

Les terrains de l’aéroport, et les secteurs à haute valeur écologique situés au nord de celui-ci, appartiennent au gouvernement fédéral, qui les loue à Aéroports de Montréal.

Dans son plan directeur «Horizon 2023-2043», un document de 148 pages, ADM indique qu’il planifie la construction «d’un pôle de décarbonation et de soutien aux opérations aéroportuaires dans le secteur du chemin de l’Aviation» pour «augmenter les capacités de YUL en matière d’approvisionnement en énergies durables».

Sur les cartes publiées dans le plan directeur d’ADM, le secteur du chemin de l’Aviation correspond à une partie du secteur à haute valeur écologique qui inclut le champ des monarques.

«On sait qu'il y a des projets pour développer l'intégralité du champ des monarques» et «on sait aussi qu'il est prévu que les travaux fassent une incursion dans une partie d'une forêt qui a été désignée comme un écosystème forestier exceptionnel», a indiqué Mme Collin en faisant référence à l’ensemble des rives du ruisseau Bertrand entre l’amont du cours d’eau et le parc-nature du Bois-de-Liesse.

«On a plein de questions et aussi plein de préoccupations.»

Évaluation: des groupes dénoncent un conflit d'intérêts

Parmi les préoccupations que suscitent les projets d’ADM, des groupes citoyens ont cité le fait qu’Aéroports de Montréal est responsable d’évaluer l’impact environnemental de ses propres projets.

«Selon nous, il y a des enjeux de démocratie, de transparence et il n’y pas d’évaluation d’impact sérieuse», a dénoncé Nathalie Ainsley, de Mères au front Montréal, en faisant état de conflit d'intérêts.

Dans un échange de courriels avec La Presse Canadienne, Stéphane Perrault, porte-parole de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, a expliqué que l'agence «a pour mandat d’examiner les grands projets désignés» comme «les pipelines, les ports, les mines, etc.»

Toutefois, «les projets de jetée satellite, de stationnement à plusieurs niveaux et d’aire de débarquement qui sont proposés à l’aéroport international Montréal-Trudeau ne sont pas des projets désignés».

Dans le cas des projets menés à l’aéroport, c’est l’aéroport lui-même qui agit en tant «qu’autorité fédérale».

En tant qu’autorité fédérale, ADM a le devoir d’afficher un «avis d’intention, qui informe le public du projet et doit prévoir une période de consultation publique» et aussi afficher «un avis de décision, qui indique si le projet peut aller de l’avant et décrit les mesures d’atténuation visant à réduire les effets négatifs».

L’avis d’intention sur le projet de jetée satellite a été publié sur le site de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada le 27 juin dernier et invitait le public à formuler des commentaires jusqu’au 27 juillet 2025.

«Connaissez-vous beaucoup de gens qui se lèvent un beau matin d’été et qui vont consulter les projets sur le site de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada?» a réagi la militante de Mères au front en dénonçant «l'inquiétante discrétion» dans laquelle se font les consultations publiques.

Mères au front Montréal remet aussi en question le court délai, entre la fin des consultations publiques sur le projet, le 27 juillet, et la publication de l’avis de décision, le 30 juillet.

«Ça leur donne deux jours pour écrire ça, ça me paraît bidon, c’était écrit à l’avance», a fulminé Nathalie Ainsley.

«Également, cette évaluation sur la jetée, c’est juste sur l’impact des travaux et elle ne tient pas compte de l’impact d’ajouter 28 avions. Quel sera l’impact du trafic aérien et de la pollution?»

Les grands travaux de l’aéroport «ne devraient pas être évalués morceau par morceau, sans vision d’ensemble. Les citoyens, les municipalités et les scientifiques doivent être pleinement informés, consultés et entendus», a ajouté la militante.

En réponse aux différentes critiques, le porte-parole Eric Forest a indiqué «qu’Aéroports de Montréal respecte en tout temps les délais prescrits pour les périodes de consultation et se conforme à toutes les dispositions de la Loi sur l’évaluation d’impact mise en place par le gouvernement canadien» et que «tous les projets sont publiés dans le Registre canadien d'évaluation d'impact, conformément à la Loi sur l'évaluation d'impact».

Les citoyens qui veulent participer aux consultations peuvent accéder aux informations relatives au processus de consultation par le site web d’ADM, via la page consacrée aux relations avec la communauté ou directement par le registre, a indiqué M. Forest.

ADM fait également valoir que «dès 2023, et ce pour une période de 18 mois», la direction de l’aéroport a mené «un vaste processus de consultation sur son Plan directeur 2023-2043 de YUL, incluant des rencontres avec 43 organisations de la communauté montréalaise ainsi qu’un sondage auquel ont répondu 2250 participants du grand public» et que «celui-ci a été déposé au ministre des Transports du Canada en décembre 2024, et approuvé au printemps 2025».

Stéphane Blais, La Presse Canadienne