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Sur les rivières de Nouvelle-Écosse, des pêcheurs de civelles micmacs défient Ottawa

durée 12h06
17 avril 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

HUBBARDS — Alors que la nuit tombe sur les rives de la rivière Fitzroy, Tabitha Morrison s'interrompt, alors qu'elle plonge son filet pour pêcher des anguilles, et explique pourquoi elle estime que les règles d'Ottawa ne devraient pas s'appliquer aux pêcheurs autochtones.

«Nous essayons de gagner notre vie ici», a expliqué la pêcheuse micmaque lors d'une entrevue mardi, à environ 50 kilomètres à l'ouest d'Halifax, où les phares de 15 autres pêcheurs éclairaient par intermittence les eaux de marée.

«Nous respectons des limites de prises (…) Nous avons le droit de nous gouverner nous-mêmes, et c'est exactement ce que nous faisons», a soutenu Mme Morrison, 38 ans.

Cette membre de la Première Nation Sipekne'katik capturait des civelles, des bébés anguilles, qui migraient le long du cours d'eau, alors même que le ministère fédéral des Pêches avait attribué les droits de pêche dans la rivière à un titulaire de permis commercial non autochtone.

Après la fermeture de la pêche à la civelle l'an dernier, le chaos et la violence sur l'eau ont entraîné la fermeture de la pêche à la civelle. Le ministère des Pêches a transféré la moitié des prises totales des titulaires de permis commerciaux, sans les indemniser, aux communautés micmaques.

L'objectif du gouvernement pour la saison 2025 était de créer une pêche plus calme et surveillée, où les nouveaux participants autochtones pourraient capturer des civelles dans le cadre d'un système fédéral qui suivrait les prises de la rivière jusqu'au point d'exportation.

Vingt communautés micmaques ont été invitées à devenir de «nouveaux participants», recevant près de 5000 kilos des quelque 10 000 kilos autorisés de capture par saison. Les prix varient mais, ces dernières années, les anguilles juvéniles se vendaient entre 3000 $ et 5000 $ le kilo avant d'être expédiées en Asie.

Cependant, trois Premières Nations, dont Sipekne'katik, ont envoyé des lettres refusant de participer au nouveau système, affirmant que leurs droits issus de traités prévalent sur la réglementation fédérale et précisant qu'elles géreraient leurs propres quotas et leur propre système de surveillance.

Des quotas insuffisants

Tegan Maloney, 18 ans, était parmi les pêcheurs de Sipekne'katik sur la rivière mardi, expliquant que la pêche aux civelles était devenue une tradition printanière pour sa famille depuis trois ans.

Le pêcheur a déclaré que, lorsque l'offre d'Ottawa à sa communauté, située à environ 60 kilomètres au nord d'Halifax, a été présentée lors d'une réunion plus tôt cette année, les pêcheurs ont clairement indiqué que les quotas qu'ils recevraient dans le cadre du nouveau système n'étaient pas suffisants.

«Ce n'était pas grand-chose pour notre communauté, a-t-il souligné à propos de l'offre du ministère des Pêches. Nous avons près de 200 pêcheurs (…) et lorsque cela est divisé, et avec les prix plus bas (cette année), cela ne représente finalement pas grand-chose».

Tegan Maloney a pointé que Sipekne'katik avait créé son propre plan de pêche, chaque membre de la communauté étant tenu de tenir un registre des prises, avec un maximum de 12 kg de civelles allouées à chaque pêcheur, soit plus du double des 5 kg par pêcheur que, selon l'Assemblée des chefs mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse, d'autres bandes avaient accepté dans le cadre du plan d'Ottawa.

Manque de volonté politique

Marc Weldon, pêcheur commercial chevronné de l'Atlantic Elver Fishery, était également présent sur la rivière tard mardi soir. Il pêche la civelle depuis plus de vingt ans et se souvient de nombreuses années passées à travailler discrètement en groupes de deux ou trois. Avec le nouveau système d'Ottawa, le nombre de rivières auxquelles son entreprise est autorisée à accéder est passé de dix à cinq, a-t-il indiqué.

En entrevue, l'homme de 62 ans a déclaré avoir remarqué l'arrivée occasionnelle de pêcheurs micmacs sur la rivière, ajoutant: «Cela nous a un peu encombrés et nous regardons constamment par-dessus notre épaule, ce qui me rend un peu nerveux, pour être honnête. »

«Il y a un manque de volonté politique pour contrôler correctement la situation (…) Je viens d'appeler (les responsables des pêches) pour signaler la pêche illégale ici ce soir.»

Pour sa part, Tegan Maloney a expliqué que sa pêche relève d'un droit fondamental issu d'un traité, plutôt que d'un «privilège» accordé par le gouvernement fédéral.

Par ailleurs, il a noté une hostilité croissante envers les agents des pêches fédéraux ces derniers jours. La semaine dernière, des tensions ont éclaté sur la rivière Tangier, à l'est d'Halifax, lorsqu'un pêcheur autochtone a été arrêté à la suite d'une altercation présumée avec un agent.

Le jeune pêcheur a affirmé voir des agents des pêches «partout». «Ils saisissent du matériel sans porter une accusation. À maintes reprises au fil des ans, on m'a confisqué du matériel qui ne m'a jamais été rendu (…) et je n'ai pas été inculpé.»

Interrogé sur la possibilité pour sa bande et les huit titulaires de permis de pêche commerciale de coexister sous un même système, Tegan Maloney a répondu: «Pas cette année», mais il a ajouté: «J'espère qu'à l'avenir, nous pourrons avoir une pêche respectueuse et durable pour tous.»

Le ministère fédéral des Pêches a indiqué, dans une lettre du 18 mars adressée au chef et au conseil de Sipekne'katik, avoir cherché à consulter la bande «pendant de nombreux mois», «avec un succès mitigé». Doug Wentzell, directeur de la région des Maritimes, a écrit à la cheffe Michelle Glasgow pour lui indiquer qu'il restait disponible pour discuter de l'offre fédérale.

La cheffe n'a pas répondu à une demande d'entrevue envoyée par courriel.

Tabitha Morrison a affirmé que, si sa bande se soumettait au système fédéral, elle et d'autres pêcheurs seraient soumis à une «microgestion» de la part du gouvernement.

«C'est une autre forme de racisme systémique (…) Nous essayons de gagner notre vie, de gagner un peu d'argent et on nous traite de braconniers, et je ne pense pas que la moitié des Canadiens connaissent nos traités», a-t-elle déclaré.

Michael Tutton, La Presse Canadienne