Les Canadiens annulent leurs voyages d'affaires aux États-Unis


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Des Canadiens annulent des voyages d'affaires, se retirent de conférences et évitent de faire des réservations aux États-Unis, alors que la colère à l'endroit du président Donald Trump frappe le secteur des affaires.
Après les menaces de droits de douane et les railleries liées à l'annexion du Canada, ce sont les informations concernant des étrangers arrêtés alors qu'ils tentaient d'entrer aux États-Unis qui ont amené Oscar Acosta à annuler ses voyages à trois congrès d'affaires au sud de la frontière.
Il n'a «pas été découragé jusqu'au mois dernier», au moment où le PDG du secteur technologique a appris l'histoire de l'actrice et entrepreneure canadienne de 35 ans Jasmine Mooney, qui a été détenue pendant 12 jours après avoir présenté une nouvelle demande de visa de travail à la frontière américaine à San Diego, puis interdite de séjour aux États-Unis pendant cinq ans.
«Cela m'a fait peur», a confié M. Acosta, qui dirige Body M3canix, une jeune entreprise d'Ottawa qui fabrique des appareils de suivi de la condition physique pour les environnements extrêmes.
«Étant moi-même entrepreneur et issu d'une minorité visible, car je suis d'origine hispanique, ne me retrouverais-je pas dans une situation similaire à celle de cette dame ?»
M. Acosta n'est pas le seul à avoir cette réflexion.
Chez Flight Centre Travel Group Canada, les voyages d'affaires aériens entre les deux pays ont diminué de près de 40 % en février par rapport à l'année précédente, en raison d'une forte augmentation des projets annulés, a déclaré le directeur général Chris Lynes.
«Nous avons immédiatement constaté une augmentation des annulations de conférences qui devaient se tenir aux États-Unis», a-t-il indiqué, ajoutant que les réservations annulées avaient atteint un pic il y a deux mois.
«Les gens étaient très inquiets à l'idée de voyager aux États-Unis en raison de la colère envers le gouvernement américain.»
Les entreprises qui ont mis fin à leurs voyages, malgré les pénalités potentielles ou la perte de dépôts, couvrent des secteurs allant des banques et des assurances à la fabrication.
«L'un de nos clients bancaires a annulé six programmes aux États-Unis», a précisé M. Lynes. Les destinations incluaient New York, Dallas et Washington, mais surtout Las Vegas.
L'agence de voyages de M. Lynes a fait savoir à ses employés qu'elle comprenait s'ils se sentaient mal à l'aise de traverser la frontière pour assister à un événement d'entreprise à Los Angeles cet été.
«Vous pouvez appartenir à un groupe ciblé. Vous pouvez avoir un double passeport, ou un visa. Nombreux sont ceux qui ne veulent pas voyager parce qu'ils ne se sentent pas en confiance et en sécurité», a-t-il fait valoir.
Une tendance à long terme
Les annulations se prolongeront jusqu'en 2027, selon des experts. Et les événements d'entreprise à venir sans destination fixe pourraient se dérouler au Canada, au Mexique ou ailleurs plutôt qu'aux États-Unis.
Alors qu'une large vague de patriotisme économique s'est manifestée en réaction aux menaces et aux réalités des droits de douane, ainsi qu'aux plaisanteries dévalorisantes du président Trump, qui qualifiait le Canada de 51e État et qui disait que l'ancien premier ministre Justin Trudeau était un «gouverneur», les entreprises étaient parmi celles qui étaient le plus susceptibles de ressentir les effets d'une guerre commerciale.
Toutefois, la réaction négative n'a pas été universelle, provoquant des divisions au sein de certaines organisations, divergentes quant à la tenue de retraites d'entreprise, et des sentiments mitigés parmi les employés.
Certaines entreprises maintiennent des rassemblements, même si les participants potentiels rechignent à cette perspective.
Une conférence de Royal LePage prévue à Nashville, au Tennessee, en septembre aura lieu, car «les fonds sont déjà dépensés», a déclaré le directeur général Phil Soper au personnel, dans une note interne consultée par La Presse Canadienne. Le message soulignait l'incertitude quant au statut de la conférence et la possibilité que certains agents prennent la «décision difficile» de ne pas y assister.
«Les engagements financiers pour organiser l'événement ont été pris bien avant le contexte politique actuel, et l'annuler maintenant ne ferait que nuire à notre propre réseau, et non à Trump ni à l'économie américaine», a-t-il soutenu dans la note du 10 avril.
Une baisse générale des voyages
La baisse des voyages d'affaires reflète un recul plus général des voyages aux États-Unis.
Selon Statistique Canada, les voyages de retour en voiture des Canadiens ont chuté de 32 % en comparaison à l'année dernière le mois dernier. Les voyages en avion des résidents canadiens au retour des États-Unis ont diminué de 13,5 %.
Parallèlement, le gel des budgets et les décrets présidentiels aux États-Unis ont contribué à freiner les voyages intérieurs aux États-Unis, et parfois au Canada.
À la fin du mois de février, M. Trump a ciblé les voyages des fonctionnaires fédéraux, ordonnant aux agences gouvernementales d'interdire les voyages sans justification écrite. Les voyages sont également soumis à de nouvelles exigences de déclaration.
«Cela signifiait que les participants à des conférences au Canada, surtout les fonctionnaires, ne pouvaient pas venir faute de budget de voyage», a expliqué Minto Schneider, président du conseil d'administration de Meetings Mean Business Canada, un groupe de défense des intérêts.
Pour les Canadiens, la décision de renoncer à des activités de consolidation d'équipe, de développement des compétences ou à des contrats potentiels n'est pas toujours facile à prendre.
Dans le cas de M. Acosta, il avait déjà réservé des chambres d'hôtel pour un voyage de prospection d'investisseurs à Boston en mai et pour une conférence aéronautique en Californie en juillet. Il était également inscrit à une conférence sur l'aérospatiale au début de l'année prochaine à Orlando, en Floride, où il a été invité à animer plusieurs discussions.
«J'ai acheté des pneus neufs pour plus de sécurité. J'ai planifié l'itinéraire. J'ai même fait délivrer le passeport de mon chien, a-t-il dit. Mais j'ai tout annulé.»
Il craint maintenant de manquer des occasions clés de rencontrer des investisseurs en capital-risque et d'amasser des fonds. Il n'a toutefois pas vu d'autre choix.
«Pourquoi me mettrais-je en danger ?», a-t-il soulevé.
Christopher Reynolds, La Presse Canadienne