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Foires ambulantes au Québec: un duopole qui réussit à tirer son épingle du jeu

durée 10h00
2 août 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Manèges, jeux d’adresse pour gagner un toutou et barbe à papa, autant d’images qui sont profondément ancrées dans l’imaginaire collectif des Québécois, autant les enfants que les adultes qui les ont aussi connues dans leur propre enfance.

Ces foires ambulantes qui s’installent temporairement dans les stationnements de centres commerciaux ou là où elles dénichent un terrain font en effet partie du paysage depuis des décennies et si l’on se fie à ce qu’en disent leurs propriétaires, elles sont encore là pour longtemps.

«On ne finit jamais dans le rouge, la business va bien», affirme Véronique Vallée, copropriétaire de Beauce Carnaval, doyenne des deux entreprises du genre qui se partagent le territoire québécois. Certaines années, comme celle-ci avec ses mois d’avril et mai froids et pluvieux, sont quand même plus difficiles que d’autres, dit-elle.

«On a perdu neuf samedis en début d’année. Ça fait mal. Mais quand les gens voient qu’il fera beau le vendredi ou le dimanche, ils s’ajustent. Ce n'est pas une perte totale, mais on a subi une grosse perte à cause de la température.»

Trois générations

Elle et ses deux frères sont la troisième génération à faire tourner les grandes roues de Beauce Carnaval, fondée en 1953 par leur grand-père Florian, dont l’image se trouve sur l’un des chevaux du magnifique carrousel de style traditionnel. L’entreprise exploite deux unités qui, chaque année, se déplacent de la Côte-Nord à l’Abitibi, à l’Outaouais, à la Montérégie, à l’Estrie jusqu’au Bas-du-Fleuve en passant, bien sûr, par la Beauce, chef-lieu de la famille et tout ce qui se trouve entre ces régions.

La deuxième de ces entreprises, Fun Show, qui possède également deux unités sur le territoire, ne se rend pas dans les régions éloignées, mais couvre tout de même un vaste territoire qui s’étend des Laurentides à l’Estrie à la région de Québec, en passant par la Mauricie et le Centre-du-Québec.

Coûts d'exploitation imposants

Fondée il y a 19 ans, Fun Show, tout comme Beauce Carnaval, est une entreprise financièrement exigeante, explique la sœur du fondateur Mario Larivière, Sylvie, qui est aussi son bras droit. «Les gens n'ont aucune idée des coûts d'opération, de réparation, d'entretien, de déménagement. Nous sommes 100 % autonomes. On fournit notre propre électricité avec des génératrices et le diesel, c'est une fortune. Les loyers qu'il faut payer là où on s'installe, c'est beaucoup de sous, payer les employés, les loger, les assurances. Il faut avoir les reins solides.»

Elle affirme pourtant, comme sa collègue Véronique Vallée, que les affaires vont bien malgré tout. «Ça va super bien. Évidemment, ça nous prend la météo et notre début de saison a été difficile, mais ça s’est replacé. Nous avons fini l’été dans les moins une seule fois.»

Mario Larivière a bâti Fun Show à partir de rien, raconte-t-elle. «Il est parti de zéro. Il a acheté quelques manèges usagés, un investisseur qui a bien voulu l'aider l’a financé et il a travaillé fort, mon frère, c'est incroyable! Il était bon déjà en mécanique et en construction. Les anciens manèges étaient mécaniques, mais aujourd’hui il y a beaucoup d’électronique et ce n'est plus la mécanique qui brise, c'est toujours l'électronique.»

De l'école à la foire

Véronique Vallée et ses deux frères ont évidemment grandi à la foire. «Quand on avait fini l'école, on s'en venait passer nos étés sur le carnaval. Mes deux frères et moi, on a tous étudié dans un autre domaine et on est tous les trois revenus dans l'entreprise familiale», se remémore celle qui est diplômée en enseignement de l’anglais et en droit.

Les deux entreprises emploient chacune une centaine de personnes, chiffre qui peut varier à la hausse tout comme le nombre de manèges lors des grandes foires agricoles où l’activité devient plus intense. Elles offrent cependant une perspective différente en matière de recrutement de la main-d’œuvre.

«Vagabonds pendant six mois»

«C'est difficile de recruter parce que les gens sont sur la route pendant six mois. Ils ne voient pas leur famille, ils ne restent pas à la maison, ils n'ont pas congé le samedi et le dimanche pour aller à la plage. C'est ce qui caractérise ce métier, de partir, d'être vagabond pendant six mois», explique Véronique Vallée, qui précise cependant être choyée par une équipe de 34 travailleurs saisonniers mexicains qui se connaissent et se recrutent entre eux. «Ils sont avec nous depuis 2018. Ils ont une belle entraide entre eux, c’est vraiment une belle équipe et quand ils sont là, ils propagent ça aux autres. Depuis qu'ils sont là, l'atmosphère est meilleure, les gens s'entraident plus et il n'y a pas de chicanes.»

Du côté de Fun Show, René Caron, gérant d’une des deux unités de l’entreprise, dit au contraire que le recrutement n’est pas si difficile. «Les anciens reviennent d'année en année et il y en a plusieurs qui emmènent des amis avec eux. L'équipe se renouvelle comme ça et c'est quand même assez facile.»

Ce qui les attire, dit-il, c’est le sentiment d’avoir trouvé une famille. «Plusieurs n'ont pas de famille, plusieurs n’ont pas de domicile fixe. Alors ils viennent ici pour l'été et l’atmosphère familiale. Ils repartent l'automne, mais parfois ils vont aller vivre deux, trois ensemble. Ils viennent ici, pour tisser des liens.»

Des larmes et des sous

Les salaires ne sont pas énormes, un peu plus que le salaire minimum, mais les employés sont payés sur une base hebdomadaire, de sorte que s’il pleut, par exemple, leur salaire reste inchangé. Aussi, les travailleurs forains n’ont pas de loyer à payer; ils sont logés dans les roulottes qui accompagnent les caravanes de ville en ville.

Certains, par contre, sont payés à la commission, notamment dans les jeux d’adresse, comme Félix Laplante, un jeune Gaspésien qui est avec Fun Show depuis quatre ans. «Je n'ai pas de salaire de base, mais je n'ai pas de salaire limite. S'il pleut, j'ai les larmes aux yeux, mais si j'ai 4000 clients une journée, c'est une journée top!»

Il revient parce qu’il aime ce travail, ajoutant qu’«il y a des hauts et des bas, comme dans tout travail. Il faut être capable de se parler. Ça prend de la motivation et il faut être capable de vivre avec des congénères en communauté. J'ai une très bonne place dans la roulotte avec des gens respectueux.»

Sylvain Gravel, opérateur de jeux d’adresse chez Fun Show, est tombé en amour avec le milieu des foires il y a 45 ans. «J'avais 13 ans quand j’ai commencé. Je vendais des popcorns, des hot dog, au Cirque de Boston qui venait dans mon coin l’été et se déplaçait avec les expos agricoles. Après être passé aux manèges, il a atterri dans les jeux d’adresse. «Là, j'ai trouvé vraiment ma place. Être avec des gens, faire rire les gens. J’aime beaucoup voir les enfants surtout quand ils gagnent et que leurs yeux brillent. Donner beaucoup de sourires, c'est très valorisant.»

«Le sourire des enfants»

Tous les travailleurs rencontrés disent être passionnés par la vie de foire. Croisés sur le site de Beauce Carnaval alors que l’unité venait tout juste de compléter son installation à Victoriaville, Robert Gobeil et Sylvain Roy sont là depuis 1998 pour le premier, 1992 pour le second. «On aime tout en général, s’exclame Robert Gobeil. On est ici pour amuser le monde. Il y a quoi de mieux qu'amuser du monde? J'ai choisi ce métier parce qu’on voulait pouvoir travailler tout l'été et être dans le sud l'hiver. Depuis 1998, on vit en motorisé à l'année. C'est le bonheur parfait ce métier avec ce que je veux faire. Je pars en octobre et je reviens au mois d'avril. Après la pandémie, on avait décidé de prendre notre retraite, puis après la première saison, on s'est dit non, on retourne!»

Sylvain Roy, au contraire, aime l’hiver et fait de la motoneige durant la saison morte. Lui aussi avait laissé la vie de forain en 2009, mais comme son collègue, il est revenu. «Quand t’as ça dans le sang, tu reviens. J’adore ça. Beauce Carnaval, c'est une famille. On est une famille à la maison, mais quand on est ici, on a une famille ici aussi. En plus, on voyage beaucoup.»

«Et toujours, conclut-il comme tous les autres, il y a le sourire des enfants.»

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne