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ÉTS: la réalité virtuelle et augmentée au service des chirurgiens

durée 10h00
12 avril 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Les chirurgiens pourraient un jour être en mesure de pratiquer l'intervention à venir en réalité virtuelle, voire être carrément guidés en réalité augmentée dans la salle d'opération, grâce aux travaux novateurs d'un chercheur de l'École de technologie supérieure (ÉTS) et de ses étudiants.

Ces technologies, a expliqué le professeur Simon Drouin, pourraient éventuellement remplacer l'imagerie utilisée actuellement dans la planification des chirurgies.

«On espère développer de meilleurs outils de planification», a résumé le professeur Drouin, qui a accueilli La Presse Canadienne en primeur dans son nouveau laboratoire de l'ÉTS.

En ce moment, a-t-il dit, s'il s'agit de l'ablation d'une tumeur cancéreuse et qu'on veut éviter d'endommager certains vaisseaux sanguins avoisinants, le chirurgien étudie et utilise des images prises de son patient, mais qui lui sont présentées sur un écran devant lui.

Il ne s'agit toutefois pas du genre d'image qui permet de bien apprécier la structure tridimensionnelle, a souligné le professeur Drouin.

«Le chirurgien a une bonne image de l'anatomie générale parce qu'il l'a étudiée, et il a une bonne idée de l'anatomie du patient (à partir des images), a-t-il dit. Mais quand c'est une tumeur cancéreuse, son image mentale n'est pas si bonne que ça parce qu'on ne sait pas trop quelle forme elle a ou comment les vaisseaux sanguins (sont organisés).»

D'autant plus qu'il pourra y avoir des différences d'un patient à l'autre en raison de malformations et autres particularités anatomiques, a rappelé le professeur Drouin, «donc je pense que ça prend trois dimensions pour pouvoir vraiment apprécier la structure tridimensionnelle et mieux faire des planifications».

Un jour, espère-t-il, ces images seront utilisées pour créer un environnement virtuel qui permettra essentiellement au chirurgien de pratiquer son intervention aussi souvent qu'il le souhaitera avant d'entrer en salle d'opération.

On pourrait même envisager d'aller encore plus loin, en dotant le chirurgien d'un appareil de réalité augmentée qui projettera, directement sur le patient, les informations dont il a besoin pour optimiser le résultat de son intervention.

«Avec la réalité augmentée, on pourrait afficher sur le patient les informations de guidage, le chemin d'approche du chirurgien» afin de minimiser le risque d'hémorragie, a précisé le professeur Drouin.

Les technologies que développent le professeur Drouin et son équipe se déclinent actuellement sur trois axes.

Dans un premier temps, un de ses étudiants, Alejandro Olivares Hernandez, planche depuis au moins deux ans sur un projet de réalité virtuelle qui permettra aux soignants de mieux maîtriser l'insertion d'un cathéter veineux périphérique dans le bras, une intervention courante qui est pratiquée sur environ 70 % des patients hospitalisés au Canada.

Cette répétition virtuelle ― «comme dans un jeu vidéo», a dit le professeur Drouin ― viendra entre autres pallier à la pénurie de cadavres dans les facultés de médecine et permettra de contourner les préoccupations éthiques qui accompagnent l'expérimentation sur des animaux.

«C'est une intervention qui est relativement facile à réaliser quand les veines sont visibles à la surface de la peau, mais ce n'est pas le cas quand il faut se guider avec un appareil d'échographie, et c'est cette partie-là qui est moins bien maîtrisée», a-t-il dit.

Le simulateur de réalité virtuelle développé par M. Hernandez permet d'apprendre la coordination main-œil nécessaire. Lors d'une brève démonstration effectuée avec un casque de réalité virtuelle commercial, on a pu voir sur l'écran de M. Hernandez le bras du patient virtuel générique, la sonde d'échographie et le cathéter à insérer.

Le simulateur est notamment en mesure de dire si la bonne veine avait été choisie, à quel point l'insertion a été réussie, et ainsi de suite, a dit le professeur Drouin.

Une autre étudiante prendra bientôt le relais de M. Hernandez pour remplacer les contrôleurs de réalité virtuelle typiques qu'on utilise en ce moment par un faux cathéter et une fausse sonde afin de rendre la simulation encore plus réaliste, notamment grâce à un retour haptique.

Représentation tridimensionnelle

Une autre technologie en développement dans son laboratoire par le doctorant Andrey Titov permet de créer une représentation tridimensionnelle du corps du patient.

Une fois l'image générée, le chirurgien est en mesure «d'éplucher» son patient couche par couche: la peau, la graisse, les muscles, les organes... tout est révélé pelure par pelure, ce qui permet au médecin de se familiariser, avant même son premier coup de bistouri, avec ce qui l'attend sur la table d'opération.

On pourrait même envisager, un jour, que le chirurgien puisse manipuler et «tasser» les organes comme il le ferait lors d'une véritable intervention.

«Pour le moment, a dit le professeur Drouin, on s'entraîne sur des trucs généraux, et ensuite on planifie sur un vrai patient et on s'exécute sur un vrai patient. On voudrait réduire l'écart entre les deux. On voudrait (que le chirurgien) puisse s'entraîner sur les données du vrai patient.»

Une autre de ses étudiantes a collaboré avec des neurochirurgiens qui se préparaient à retirer une tumeur cancéreuse qui touchait la colonne vertébrale. Lors de la planification du chemin à suivre pour se rendre jusqu'à la tumeur, les chirurgiens ont rapporté avoir perçu «plus d'informations pertinentes à la chirurgie elle-même» avec la réalité virtuelle qu'avec leur préparation habituelle, a dit le professeur Drouin.

«Lors de la planification, peut-être que le chirurgien va apprendre des choses avec la réalité virtuelle qu'il n'avait pas vues avec les images en deux dimensions», a-t-il ajouté.

Les jeunes médecins qui ont grandi à l'ère des jeux vidéo seraient particulièrement réceptifs aux nouvelles technologies.

C'est lors de l'intervention elle-même que le troisième volet, le plus embryonnaire pour le moment, celui de la réalité augmentée, devient le plus intéressant. «On pourrait afficher nos plans directement sur le patient, plutôt que sur un écran», a dit le professeur Drouin.

La réalité augmentée pourrait par exemple être utilisée pour faciliter l'insertion du cathéter veineux périphérique, puisque la projection d'une image sur le bras du patient «permettrait de viser plus facilement le centre de la veine», a expliqué le chercheur.

«Mais il reste encore pas mal de travaux à faire avant d'afficher (les informations) correctement en réalité augmentée», a-t-il prévenu.

Continuum

Ces trois volets pourraient éventuellement former un seul et même continuum: après avoir pratiqué l'intervention sur un patient générique, on se préparerait à la réalité avec une représentation virtuelle du patient, avec l'appui de la réalité augmentée lors de l'intervention.

La comparaison avec des simulateurs de vol est pratiquement inévitable, tant le potentiel de la RV et de la RA en lien avec la chirurgie semble énorme. Au-delà de la préparation et de la planification, les résidents en chirurgie pourraient par exemple être exposés à de multiples situations avant de devoir les affronter dans la vraie vie.

«Si on prend l'exemple d'un résident en neurochirurgie, il y a plein de cas rares qu'il ne verra jamais (avant la fin de sa résidence), a dit le professeur Drouin. Si on est capables de simuler ces cas rares, au moins il saura à quoi s'attendre et il pourra poser des questions à son mentor.»

Il y a certains termes que les chercheurs et les scientifiques du monde entier évitent le plus possible d'utiliser. Un de ceux-là est le mot «révolution».

Donc, quand on demande au professeur Drouin si son équipe et lui pourraient un jour «révolutionner» le monde de la chirurgie, il sourit et se montre circonspect.

«On essaie de changer la manière dont les gens regardent les images médicales, pour passer de la 2D à la 3D, a-t-il conclu. Dans une réunion de neurochirurgie, par exemple, on peut passer 15 minutes à s'obstiner pour savoir si le vaisseau sanguin passe au-dessus ou en dessous. Avec une représentation 3D, ça devient évident.»

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne