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Ces maux qui assaillent notre démocratie

durée 10h15
13 avril 2025
La Presse Canadienne, 2024
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

QUÉBEC — Des politiciens prêts à tout pour se faire élire, des députés muselés par leur parti, des médias qui carburent au sensationnalisme: le journaliste Alexandre Duval publie ces jours-ci l’essai «Obsession: élections!» où il décortique les rouages et les maux de nos démocraties modernes aux prises avec l’obsession de l’électoralisme.

Comme correspondant parlementaire à Radio-Canada à l’Assemblée nationale du Québec, Alexandre Duval a été aux premières loges pour voir cette tendance qu'ont nos politiciens à adapter leur discours pour plaire aux électeurs.

Mais cet électoralisme qui consiste justement à chercher à séduire les citoyens n’est-il pas un passage obligé pour prendre le pouvoir?

«C'est inhérent à notre système que les gens qui se présentent cherchent à plaire parce que leur but, ça reste d'être élus et éventuellement de prendre le pouvoir», explique Alexandre Duval en entrevue avec La Presse Canadienne.

Mais les choses ont bien changé depuis les 100 dernières années. «Les gens de communication ont pris de plus en plus de place au sein des partis. Donc, l'information transmise par les partis politiques est de plus en plus formatée et réfléchie en termes stratégiques», ajoute le journaliste en congé sabbatique.

On voit par exemple de plus en plus de décisions politiques influencées par les sondages.

La domination des partis

Ces changements ont provoqué plusieurs effets pervers, comme le poids excessif que les partis exercent désormais sur les députés.

Alexandre Duval donne l’exemple de la ligne de parti qui était beaucoup plus souple il y a plusieurs décennies, mais qui s’est durcie avec le temps.

«Au Parlement du Québec, en 1867, les députés du gouvernement ont tous voté de la même manière à seulement 4 % des occasions. Autrement dit, il y avait presque toujours au moins un député du gouvernement qui se permettait d’enfreindre la ligne de parti au moment de voter en chambre. En 1897, le taux de cohésion du parti au pouvoir était passé à 50 %. En 1927, c’était 73 %. Puis en 1956, c’était… 100 %», écrit le journaliste.

Ainsi, les députés sont aujourd’hui bien souvent réduits à être des porte-voix de leur formation politique, plutôt que des défenseurs de leurs commettants.

Faire de la politique comme on vend des Adidas

On assiste également au déploiement du «marketing politique», qui consiste essentiellement à voir les politiciens comme des vendeurs et les électeurs comme des clients.

Dans son essai, Alexandre Duval cite cette phrase d’un stratège caquiste qui s’est exprimé sous le couvert de l'anonymat: «Faire de la politique, c’est différent, mais mécaniquement ce n’est pas différent que de vendre une marque comme Nike ou de vendre de l’Adidas.»

«On amène les citoyens à acheter un produit politique dont le contenu va varier, selon les sujets du moment et selon l'humeur de l'électorat. Et ça donne l'impression à bien des citoyens que tous les partis se ressemblent un peu», explique Alexandre Duval.

Ainsi, les partis ne cherchent pas à «générer un consensus ou à convaincre une vaste majorité d’électeurs», mais plutôt à séduire les bonnes catégories de la population qui leur sont nécessaires pour prendre et conserver le pouvoir.

Dans son ouvrage, l'auteur raconte comment les conservateurs de Stephen Harper ont misé sur à peine 500 000 citoyens – environ 2 % de l’électorat – pour faire pencher la balance en leur faveur lors de l’élection de 2006.

«Comment y arriver? En faisant de la recherche pour connaître ces électeurs avec une précision chirurgicale, en utilisant les données recueillies pour développer un produit politique qui correspond à leur profil, puis en trouvant le moyen de leur communiquer des messages clés. Visiblement, ç’a fonctionné», écrit-il.

En effet, ces élections fédérales ont porté au pouvoir un gouvernement conservateur minoritaire.

Les médias aussi responsables

Alexandre Duval n’épargne pas ses collègues journalistes. Dans son essai, il accuse les médias de trop souvent tomber dans le «piège de la politique-spectacle et, indirectement, de la facilité».

Selon lui, en «refusant de s’attaquer aux pratiques douteuses qui sévissent dans leur propre industrie, ils sont devenus les complices implicites des réflexes électoralistes des élites politiques».

«J’oserais même dire qu’il y a lieu de se demander si, dans certaines situations, les médias ne sont pas eux-mêmes les premiers responsables de ce mal qui ronge nos démocraties et du cynisme croissant des citoyens qui en découle», ajoute l’essayiste.

D’ailleurs, il croit que le problème de la ligne de parti trop rigide est renforcé par les journalistes, lorsqu’ils font une nouvelle aussitôt que le message d’un député n’est pas exactement au diapason avec celui de son chef, par exemple.

«Ça se transforme en gestion de crise au sein du parti. Et quand ça arrive, il ne peut pas en ressortir quelque chose de bon parce que ce que le parti cherche à faire, c'est colmater la brèche puis s'assurer que le message soit uniforme», explique-t-il en entrevue.

«Il y a encore de bonnes choses qui se font en politique»

Face à des constats aussi sévères sur notre système, n’y a-t-il pas un risque de tomber dans le cynisme?

«Ma prétention, c'est que de ne pas nommer les choses constitue un danger beaucoup plus grand que de les nommer pour que les gens sachent d'où vient leur insatisfaction», soutient-il.

Mais le livre d'Alexandre Duval n’est pas seulement un diagnostic critique des symptômes qui mettent à mal notre démocratie; il propose aussi plusieurs pistes de solutions: une couverture médiatique plus axée sur les enjeux de fond; plus de transparence des organismes publics; des mandats plus longs pour les députés (pour limiter l’effet de la campagne permanente); la possibilité de révoquer les élus; réformer le mode de scrutin; assouplir la ligne de parti.

Mais l’auteur ne jette pas la pierre aux élus – qui bien souvent, sont là pour les bonnes raisons, dit-il.

«Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain. Notre système politique parvient encore à livrer des résultats intéressants, à provoquer du changement positif pour le plus grand nombre au sein de la société. Il y a encore de bonnes choses qui se font en politique», conclut-il lors de l’entrevue.

***

Alexandre Duval, Obsession: élections!: comment l'électoralisme affaiblit nos démocraties, Somme toute, 328 pages.

Thomas Laberge, La Presse Canadienne